Pierre Bordage, Gigante : Au nom du père

Un space opera géant !

Pour Gigante, cette pla­nète géante qui sert de cadre au pré­sent roman, Pierre Bor­dage par­tage la concep­tion et l’élaboration de cet uni­vers avec Alain Grous­set. Dans ce décor com­mun, ils décrivent le par­cours d’un fils, d’un père, des par­cours qui se recoupent, se répondent à quelques années de dis­tance. Zaslo Mer­ti­cant, un eth­no­lin­guiste, arrive sur Gigante à la recherche des traces de mythiques géants, qui auraient été décou­verts dans les terres mou­vantes du Bra­gant et… pour tuer son père. Celui-ci est parti, il y a vingt ans, aban­don­nant sa femme enceinte. Il s’est lancé dans un voyage spa­tial de qua­rante ans. Main­te­nant, les pro­grès accom­plis en matière de trans­port per­mettent de faire le même tra­jet en deux ans. Zaslo doit donc attendre, pen­dant quelques années, l’arrivée de son père. Il veut pro­fi­ter de ce délai pour explo­rer le Bra­gant, recher­cher des osse­ments de géants, mais il ne dis­pose pas de l’argent suf­fi­sant pour le voyage. À la sor­tie de l’agence, Madi­lia, une jeune femme qui a entendu ses pro­pos, lui pro­pose l’avance de la somme qui lui manque, car elle veut, elle aussi, retrou­ver ces géants.
Com­mence alors un voyage ini­tia­tique sur une pla­nète où tout est déme­suré, une pla­nète sau­vage, indomp­tée, en proie à d’effroyables tem­pêtes élec­triques qui déciment des popu­la­tions. Mais, Zaslo, d’un tem­pé­ra­ment indé­cis, timoré, ne va pas au bout de son voyage. Cepen­dant, au fil des ren­contres, il prend conscience de la puis­sance de la pla­nète, d’un lan­gage, de mes­sages qu’il ne sait décryp­ter. Sa ren­contre avec des Voya­geurs de la Guilde, des ini­tiés qui uti­lisent les flux élec­triques pour se dépla­cer rapi­de­ment sur d’énormes dis­tances, est déter­mi­nante. Mais ces voyages ont un prix à payer que Zaslo…

Les deux auteurs créent un monde gigan­tesque et le mettent en scène avec cohé­rence par rap­port aux carac­té­ris­tiques phy­siques qu’ils lui donnent. Ainsi, sa taille entraîne une pesan­teur forte qui gêne les dépla­ce­ments, modèle les corps. Des moyens existent pour les nou­veaux arri­vants, pour contrer ces effets néfastes, comme des exos­que­lettes plus ou moins sophis­ti­qués, des solu­tions médi­cales etc. Les dis­tances jouent un rôle essen­tiel car elles déter­minent la durée des dépla­ce­ments et modèlent un état d’esprit, un art de vivre. Elles obligent, ainsi, des popu­la­tions à une vie de migrants sur plu­sieurs géné­ra­tions. L’électricité qui cir­cule libre­ment selon des flux, des réseaux incon­nus, sert aussi, pour une mino­rité, de moyens de trans­ports, non sans dan­gers ni consé­quences.
Pierre Bor­dage, comme à son habi­tude, construit des per­son­nages aux carac­tères éla­bo­rés, fouillés, appro­fon­dis, et d’une grande huma­nité. Il pro­pose, avec Zaslo, un anti­hé­ros de la plus belle eau. Mais, il fait évo­luer celui-ci peu à peu, pour l’amener à décou­vrir, à son corps défen­dant, une force inté­rieure qui le rend capable d’affronter ses réti­cences, ses blo­cages, sa pusil­la­ni­mité. Venu sur cette pla­nète avec une convic­tion for­gée par sa mère qui a nour­rit sa haine depuis sa plus tendre enfance, il conti­nue une “tra­di­tion familiale”.

Le roman­cier pré­sente, en contre­point, une guer­rière, une jeune femme tueuse qui, peu à peu, s’ouvre à des sen­ti­ments aux­quels elle ne vou­lait pas croire. Le récit s’appuie sur deux volets prin­ci­paux : le par­cours de Zaslo, de Madi­lia, et la décou­verte d’un monde étrange, aux pos­si­bi­li­tés colos­sales, dont il faut tout apprendre. Pierre Bor­dage et Alain Grous­set pro­posent un monde d’un grand réa­lisme, où chaque « impos­si­bi­lité » est expli­quée, ou expli­cable, en regard des lois phy­siques que nous connais­sons. On retrouve éga­le­ment des thèmes chers à l’auteur comme la dénon­cia­tion du com­mu­nau­ta­risme, de l’intégrisme, du poids des reli­gions et des reli­gieux, une défense éner­gique de l’humanisme. Il intègre la décou­verte de l’amour qui emporte tout, qui fait tout oublier pour l’être aimé.
 Bor­dage reste le maître incon­tes­table du Space opera par la créa­ti­vité de ses uni­vers, par l’invention débri­dée des élé­ments d’intrigue, dans leur mise en scène, dans l’art du récit et par la richesse incom­pa­rable de ses personnages.

NB : Le par­cours du père de Zaslo, sur Gigante, est raconté par Alain Grous­set dans Au nom du Fils (Même édi­teur, même collection)

serge per­raud

Pierre Bor­dage, Gigante : Au nom du père, L’Atalante, coll. « La Den­telle du cygne », sep­tembre 2013, 384 p. – 19,00 €.

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Filed under Science-fiction/ Fantastique etc.

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