Les intransigeances de Sorin Cerin — entretien avec le poète et philosophe (Sur les épaules de la mort : poèmes philosophiques)

“Errant parmi les illu­sions de l’existence / j’ai essayé de construire mon / propre laby­rinthe de rêves / d’où je ne sor­ti­rai plus jamais / sur le che­min des illu­sions de la vie et de la mort / pré­des­tiné” écrit Sorin Cerin, dans Sur les épaules de la mort.
Il faut au poète et phi­lo­sophe se déga­ger d’abord de son moi haïs­sable vic­time des “bor­dels de la morale” et des “clowns de la vérité” qui ont créé les cathé­drales des vices et des pen­sées dou­teuses. Le poète devient le cava­lier sans des­trier mais que nour­rit la soif de vérité mys­tique à la fois visible mais pas regar­dable. D’où le recours à la poé­sie qui devient, par le ménage qu’elle pro­pose, l’ordination-matrice qui nous lie dans le théâtre du monde au qua­trième mur — celui qui reste tou­jours en fuite.

Sorin Cerin, Sur les épaules de la mort : poèmes phi­lo­so­phiques, Edi­tura Est­fa­lia, Buca­rest, 14 juin 2022, 280 p. — 20,00 €.


Entretien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
L’absurdité d’un nou­veau jour qui me semble si inté­res­sant quand je pense que je suis un jour plus proche de la mort.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Enfant, je vou­lais deve­nir avia­teur, para­chu­tiste ou offi­cier de marine, je détes­tais la lit­té­ra­ture, mais à l’adolescence je me suis tel­le­ment rap­pro­ché de la phi­lo­so­phie et de la poé­sie que j’ai réa­lisé qu’elles sont beau­coup plus proches de mon âme qu’autre chose.

A quoi avez-vous renoncé ?
Je renon­ce­rais à abso­lu­ment tout pour pou­voir créer de la phi­lo­so­phie et de la poé­sie. Pour moi, la richesse maté­rielle n’a abso­lu­ment aucune valeur. Tout ce qui compte, c’est la richesse spirituelle.

D’où venez-vous ?
Je suis né à Baia Mare, une ville pit­to­resque du nord de la Tran­syl­va­nie, en Rou­ma­nie, une ville qui au début du siècle der­nier fai­sait par­tie de l’empire austro-hongrois. C’est pour­quoi elle conserve encore cer­taines influences de cette époque.

Qu’avez-vous reçu en “héri­tage” ?
Je dois remer­cier Dieu pour le talent qu’il m’a donné. Pour écrire de la phi­lo­so­phie ou de la lit­té­ra­ture, il faut être né avec ce talent. Si vous n’avez pas reçu cet héri­tage de talent, quels que soient vos efforts, vous n’aurez jamais la chance d’apporter quelque chose de vrai­ment nou­veau ou précieux.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
J’adore le cho­co­lat noir. Je ne fume pas, je ne bois pas d’alcool ni de café. Je ne suis accro à rien d’autre que le cho­co­lat. En plus du cho­co­lat, il y aurait aussi une course mati­nale. Chaque jour, je cours au moins sept kilo­mètres ou plus, peu importe la sai­son ou la météo.

Com­ment définiriez-vous la nature de votre poé­sie ?
Comme une poé­sie exis­ten­tia­liste. C’est une poé­sie qui ramène l’existentialisme dans la contem­po­ra­néité alors que beau­coup pen­saient que l’existentialisme n’avait rien à dire à l’ère moderne d’Internet. L’existentialisme ne finira jamais car il s’adapte à n’importe quelle société ou à n’importe quelle époque. Ma poé­sie est une conti­nua­tion de l’existentialisme fran­çais, comme quelqu’un d’autre l’a écrit et avec qui je suis d’accord.

Quelle influence les théo­ries spi­ri­tuelles et leurs mys­tères ont sur elle ?
Contrai­re­ment à d’autres exis­ten­tia­listes qui étaient athées, je crois fer­me­ment en un Dieu de type hégé­lien ou en un Dieu de Spi­noza. Il existe une vérité abso­lue d’une intel­li­gence uni­ver­selle que je défi­nis comme Dieu. Au lieu de cela, je crois que les reli­gions sont prin­ci­pa­le­ment des contes de fées qui rap­portent des pro­fits à ceux qui les récitent. Cepen­dant, l’apparition de grands pro­phètes dans l’histoire de ce monde, je ne pense pas qu’elle soit du tout acci­den­telle, seule­ment que les reli­gions ont per­verti l’existence de ces pro­phètes en sources profitables.

Quel poids repré­sente le passé dans votre oeuvre ?
J’ai eu une enfance triste et dou­lou­reuse. Au lieu de cela, dans ma jeu­nesse, j’ai vécu sur plu­sieurs conti­nents comme le conti­nent nord-américain dans des villes comme New York, Dal­las, Texas, Las Vegas, Nevada ou sur le conti­nent aus­tra­lien, dans des villes comme Mel­bourne ou Bris­bane, des endroits où j’ai vécu une longue et intense variété d’expériences. Puis je suis retourné en Europe, où heu­reu­se­ment, j’ai ren­con­tré ma femme, Dana Cris­tina Gorin­ciou, avec qui j’ai fêté cette année 23 ans de mariage heu­reux. Ma femme, Dana Cris­tina, a tou­jours été à mes côtés et m’a sou­tenu dans ma car­rière phi­lo­so­phique et lit­té­raire. Tout cela a défi­ni­ti­ve­ment mar­qué mon travail.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Les vitraux mauves des fenêtres de l’église où mon grand-père était prêtre.

Et votre pre­mière lec­ture ?
“Les Musi­ciens de Brême” par les frères Grimm. C’était un livre de contes magni­fi­que­ment coloré.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Tout d’abord, j’aime Air de Johann Sebas­tian Bach et presque tout ce qui est com­posé par Bach, mais j’écoute aussi sou­vent Saint Preux comme Concerto pour une voix, Aria de Syrna, Le Désir, etc.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
“La Nau­sée” de Jean-Paul Sartre.

Quel film vous fait pleu­rer ?
“Titanic”.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Un inconnu

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Je n’ai jamais res­senti une telle sensation.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Paris

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Jean-Paul Sartre, Albert Camus, Søren Kier­ke­gaard, Simone de Beau­voir, Mar­tin Hei­deg­ger, Edmund Hus­serl, Mau­rice Merleau-Ponty.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Paix et tran­quillité d’esprit.

Que défendez-vous ?
Le droit de mourir.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Le non-sens de cette exis­tence, l’absurdité quo­ti­dienne et la per­ti­nence du suicide.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?
” Toute notre exis­tence est une illu­sion qui accepte toute vérité rela­tive, car nous ne connaî­trons jamais la vérité absolue”.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Si je crois au para­nor­mal ? Je suis devenu Sorin Cerin, celui que je suis aujourd’hui, je veux dire le phi­lo­sophe et écri­vain d’aujourd’hui, à cause d’un évé­ne­ment paranormal.

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par  jean-paul gavard-perret, pour lelitteraire.com, le 26 juin 2023.

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