Le nom de cet auteur haïtien s’épelle comme une énigme et ces Lettres sont difficiles à nommer
Son nom s’épelle comme une énigme, A20, auteur haïtien qui puise dans ses racines un tempérament mêlé. L’auteur est en présence dans ses écrits, les lettres à Martine sont un labyrinthe de mots qui s’acheminent en flots vers le cœur de cette personne. On découvre, au fur et à mesure, un lexique mystérieux. Parfois le sens échappe à la raison mais s’inscrit plus loin, s’enracine, se fond à notre terre intérieure. Et plus tard, ressurgit, limpide.
Voilà son écriture, voilà son être, inscrit, transcrit, déposé en strates. La découverte est comme un voyage initiatique qui dévoilerait un visage inconnu. Les pourtours se dessinent au travers des femmes qui lui parlent, lui envoient des vagues de mots qui l’interpénètrent. Les mots, l’amour, à la recherche d’une étendue capable de les laisser s’exprimer. Comme si aimer changeait votre langue première, votre langage intime.
Lettres à Martine est un écrit difficile à nommer, il y a trop de chairs, trop de corps, une densité qui se serre dans ses 69 pages trop courtes.
Les limites physiques de “l’objet-livre” sont pourtant explosées dès que l’on pénètre dans cette littérature microcosmique qui utilise tant de dimensions pour se former en univers. C’est la traversée d’un trou noir, l’expérience d’une dilatation de l’espace et de la matière au travers des mots. L’alchimie se consume au cours de la lecture, l’essence même de l’écrit nous corrode et dans les méandres de quelque chose qui se joue au-delà des pages et jusqu’à travers nous-mêmes, un personnage se construit, dessiné de centaines de mots agglomérés. Sans précédent, nous sommes happés par l’univers scriptural d’A20. Le sens commun est détourné, les mots sont mâchés, bouillottés puis refondus au travers des paroles qui nous sont dévoilées.
Mais alors, faut-il parler d’amour ? Il s’agit plutôt de voyage, d’itinéraires et de regard. La parole de cet homme qui observe, immobile, les désirs et les mots de l’autre et se laisse pénétrer. Le voyage est une absorption de l’autre, et cette quête crée le mélange. Mais encore, est-ce de l’amour ? N’est-ce pas plutôt une matière, une création en fait, qui va bien au-delà de l’amour tel qu’on le définit le plus souvent. Il nous permet d’explorer une dimension inattendue, celle du verbe qui construit, celle du mot qui modèle. L’être devient souple, sa limite n’est plus aussi précise, la frontière se déplace entre l’intérieur et l’extérieur et le dictionnaire du corps est en perpétuelle réédition. L’auteur est à New York où se vivent ses passions, mais son être vibre d’Haïti aussi bien que de l’enfance et des femmes qui l’approchent. Les terres habitées sont autant ses pays que les femmes qui le conquièrent ; le verbe l’habille et il se tient debout, le regard transparent, à la croisée des mondes.
L’écriture d’A20 est vibrante et poétique, énigmatique et nourrie de multiples influences. Elle possède une densité qui lui donne corps et plonge le lecteur au cœur du personnage, le rendant plus familier, nous enrichissant de ce regard si particulier que seul possède le poète. Ce livre lu nous laisse plus intenses et déroutés de ce voyage au cœur de la matière.
karol letourneux
Du même auteur :
La Suzannade, Rivarticollection (New York), 2002, 220 p. — 14,00 $
Marasa, Rivarticollection (New York), 2004, 220 p. — 16,00 $
Visitez le site des éditions Rivarticollection
A 20, Lettres à Martine, éditions Rivarticollection (New York), 2001, 69 p. — 12,00 $. |
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bon travail