Je qualifierais cette pièce de Louise Wailly et Thomas Jodarewski de jeu de rôle, mais dans son sens élémentaire, un peu comme la trame déployée pour que jouent les enfants. Je viens par ailleurs d’achever la lecture de deux pièces du répertoire qui font appel à la fois à des jugements et à du théâtre dans le théâtre.
J’associerais donc, un peu radicalement peut-être, cette apocalypse nucléaire dont il est question et qui nécessite une forme de procès — celui d’Hiroshima — au choix cornélien des Grenouilles d’Aristophane (pour le procès) et des Six personnages en quête d’auteur (pour la mise en abyme du théâtre).
Ici, le spectateur doit choisir par lui-même, devant les faits rapportés par des personnages devenus par un accord tacite incarnés dans la réalité physique du 6 août 1945, et retenir l’accusation de crime contre l’humanité ou en faire le recours normal d’une nation en temps de guerre contre une autre.
Pour résumer : qui est capable d’assumer la culpabilité ? Le théâtre est un miroir tendu par une société à elle-même. Quoi de mieux pour cela qu’un jeu de rôle, quitte à accepter tacitement que les vrais personnages, le Père, la Mère, le Frère, la Sœur prennent la défroque d’un procureur, de Robert Oppenheimer ou encore d’Harry Truman ?
De cette façon on peut rechercher en amont tout ce qui a conduit à cet holocauste. En ce sens, il est possible de purger pitié et passion, de ressentir par cette catharsis les facettes angoissantes ou révoltantes de cet affreux acte de guerre.
Mais reprenons le fil de la diégèse, hantée par la télévision, dans des décors d’appartement des années 50, par des chants ou de longues tirades en anglais. Là la facticité du théâtre.
Oui, pour un théâtre compris comme lieu de la convention, de l’accord implicite qui ne retient de la réalité que des éléments pouvant servir l’illusion — illusion tragique donc si l’on compte les destructions incroyables de la bombe H sur Hiroshima.
MARTHA
D’abord, les radiations détruisent la moelle épinière, les globules blancs, et provoquent des hémorragies internes permanentes ainsi que la décomposition du corps avant même la mort. Ensuite viennent les effets cancérigènes des contaminations et les maladies causées par les cellules mutantes. Pour les femmes enceintes, elles enfanteront diverses monstruosités qui elles-mêmes n’enfanteront pas parce qu’elles seront stériles, si elles ne décèdent pas avant.
Ou GÜNTHER
Pour ces hommes, ce ne sont plus les fins qui justifient les moyens, mais c’est l’inverse : ce sont désormais les moyens qui justifient les fins. De sorte que l’usage de la bombe se justifie de lui-même…
La scène devient un lieu d’expérience (sans doute comme l’est aussi le plateau du psychodrame morenien), rend intelligible des problèmes complexes et réfléchit (montre et pense).
Pièce de débat, pièce-enquête, réflexion sur la culpabilité, sur l’espace sacré du théâtre capable de montrer des typologies expressives et signifiantes au carré comme en mathématique.
Théâtre qui cherche le vrai ; pièce qui dit, qui propose une dialectique, un jeu de rôle suffisant pour éclairer nos consciences.
Oui, cette apocalypse selon Günther est bel et bien comme le reflet d’une psyché théâtrale, d’un effet de miroir savant.
didier ayres
Louise Wailly & Thomas Jodarewki, L’apocalypse selon Günther, éd. Les Bras nus, 2021 — 12,00 €.
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