Interview intempestif de Philippe Boutibonnes

Lire , de l’auteur, notre cri­tique de La lumière offus­quée, De l’ombre 

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
L’urgence. Le sen­ti­ment impé­ra­tif que cette jour­née sera la der­nière — et qu’il ne faut pas en perdre un seul instant.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Mon rêve : être minus­cule, inap­pa­rent, invi­sible. Je m’y emploie sans y parvenir.

A quoi avez-vous renoncé ?
Occa­sion­nel­le­ment – par la force des choses et par irré­so­lu­tion plu­tôt que par fai­blesse – à la dignité.

D’où venez-vous ?
Du ventre de ma mère et de la langue qu’elle par­lait et, qu’absente, je parle.

Qu’avez-vous reçu en dot ?
La cer­ti­tude que ma mère ne m’a jamais aimé.
Elle vou­lut se pendre quand elle se sut enceinte et ne put accep­ter que l’enfant qu’elle atten­dait soit un gar­çon. J’étais et suis tou­jours ce garçon.

Qu’avez vous dû « pla­quer » pour votre tra­vail ?
La soli­tude qui m’était le bien le plus cher.

Un petit plai­sir – quo­ti­dien ou non ?
Le vélo et les dépla­ce­ments presque quo­ti­diens vers la mer pour me repaître et m’emplir du « sen­ti­ment océanique ».

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres artistes et écri­vains ?
Mon nom.
Mais aussi mes envies, mes dégoûts.

Quelle fut l’image pre­mière qui esthé­ti­que­ment vous inter­pela ?
Des per­son­nages de Ber­nard Buf­fet vus à Avi­gnon quand j’avais une quin­zaine d’années.
Et cette ques­tion (ori­gi­naire ?) : « Pour­quoi peindre ça ? »

Où travaillez-vous et com­ment ?
Je n’ai ni ate­lier, ni bureau.
J’écris et je des­sine sur un coin de table (d’où gêne et petits formats).

Quelles musiques écoutez-vous en tra­vaillant ?
Le plus sou­vent du piano : Bach mais aussi Schoen­berg, Berg, Webern, Mes­siaen, Bou­lez, Ust­vols­kaya, Scria­bine, Bar­tok et Kurtag.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
G. Flau­bert, « Bou­vard et Pécu­chet »
F. Kafka (les nou­velles ani­ma­lières)
S. Beckett (les romans 1947–1955)
E. Hus­serl, « Idées direc­trices pour une phénoménologie »

Quel film vous fait pleu­rer ?
« Quand passent les cigognes » (1957) de M. Kala­to­zov avec Tatiana Samoïlova.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Per­sonne : je n’ai pas de miroir.
Un reflet : l’image fugace sur­prise dans une vitrine me plonge dans la per­plexité et le dégoût. Double impos­si­bi­lité de me voir.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A Jacques Derrida

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Mon­tady, le vil­lage où j’ai passé mon enfance médi­ter­ra­néenne.
Trieste, que je n’ai jamais vue.

Quels sont les artistes et les écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
R. Tut­tle, R. Ack­ling, F. Sand­back, M. Boch­ner, D. Dezeuze, les écri­vains de la revue TXT (1969–1986), E. Jandl.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Un vélo de course ultra-léger (moins de 7kg)

Que défendez-vous ?
« L’homme est un loup pour l’homme ». Mais l’homme, de temps à autre, défend la horde. L’animal est sans voix : je défends sa cause, son sta­tut et le res­pect qui lui est dû.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : « L’amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas ? »
Je ne sais ni don­ner ni rece­voir. L’amour serait ne pou­voir don­ner ce qu’on aime­rait don­ner à quelqu’un qui atten­drait ce don, ce « présent ».

Enfin que pensez-vous de celle de W. Allen : « La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ? »
Je sup­pose que la ques­tion est : « Avez-vous au moins une cer­ti­tude ? » … La réponse com­plète alors serait : « Oui ! Nous sommes mor­tels. Encore vivants, nous mourrons ».

entre­tien réa­lisé par jean-paul gavard-perret pour le litteraire.com , le 23 juillet 2013.

3 Comments

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3 Responses to Interview intempestif de Philippe Boutibonnes

  1. Jean de Breyne

    Encore une fois, Superbe.
    Jean.

  2. Fern

    Oui, inté­res­sant et émouvant.

  3. Lequoy Poiré Marie-Françoise

    Bon­jour Phi­lippe, je prends tou­jours plai­sir à te lire… ou à voir ta créa­tion… Heu­reu­se­ment inter­net est là, pour me rap­pro­cher de toi, main­te­nant que je suis à TOu­lon. Je reviens de Parme, où j’avais rendes-vous avec Cor­re­gio et la cou­pole de la cathé­drale. Cela fait long­temps que je vou­lais voir ce qui a ins­piré l’oeuvre que j’ai aimée et que j’ai ache­tée il y a des années. Et que j’aime tou­jours. et qui trône dans notre appar­te­ment. J’aurais désiré t’en par­ler. Peux tu me dire ou me faire dire par ta gale­rie que tu habites tou­jours au même endroit ou ailleurs. J’ai quelque chose à te faire par­ve­nir. Merci.
    Il est pos­sible que j’aille à Caen l’an pro­chain, expo­ser mes tra­vaux. J’aurais immense plai­sir de te revoir.
    A bien­tôt Phi­lippe. N’oublie pas de répondre à ma question !

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