Christian Jaccard, En Rouge et Noir (exposition)

Flammes et suies

L’espace d’Art Abso­lu­ment expose un ensemble majeur d’œuvres de Chris­tian Jac­card. Elles vont de 1973 à 2020 et retracent tout un par­cours des pre­mières col­lec­tions de fos­siles (jetées depuis long­temps) jusqu’à “l’ignition sacrale”.
Jeune, aux lou­ve­teaux, l’artiste fut fas­ciné par les fos­siles. Il y trouva l’origine de son regard sur l’empreinte. La pré­his­toire l’intriguait sans com­prendre à l’époque l’incidence que cela allait avoir sur son par­cours artistique.

Mais vint le temps de connaître les rai­sons de cet inté­rêt pour les traces et empreintes. Et celui qui dit entre­te­nir avec le temps “des rap­ports névro­tiques” com­prit le sens de la créa­tion sur­tout lorsqu’elle ne dure que quelques secondes dans l’ignition.
Cette ful­gu­rance prouve cepen­dant que celui du vivant tient du miracle.

Chris­tian Jac­card reste sur­tout sen­sible au temps comme espace. C’est là que la trace prend sens et quelle qu’elle soit : celle d’un éclair, d’un pas.
Et contrai­re­ment à ce que beau­coup de créa­teurs pensent, l’artiste ne s’incarne pas dans la trace : il la convoie, la conduit : “c’est un convoyeur qui mani­feste les éner­gies dis­si­pées à tra­vers ses productions.”

Le feu reste à ce titre cen­tral dans l’oeuvre, comme élé­ment le plus éphé­mère vers une trace d’éternité. Dans ce but, Jac­card uti­lise “un feu domes­tique, à por­tée de la main” : à savoir, la mèche lente capable de pro­duire une chi­mie pre­mière propre à fabri­quer traces et “érec­tions”. Et aussi ce qu’il en reste — la suie — : méta­phore de la pous­sière et de la mort.

Se découvre de la sorte com­ment Jac­card agit pour épu­rer le cœur de la pein­ture empe­sée et réin­ven­ter l’art, ses normes et ses tech­niques. Par ico­no­clas­tie, la cal­ci­na­tion pro­voque d’étranges séries pro­duc­trices d’un nou­veau clair-obscur et d’une vapo­ri­sa­tion de l’air.
Entre les volutes des fumées et “les mer­veilleux nuages” dont par­lait Bau­de­laire, une jonc­tion se produit.

Les défor­ma­tions sont inces­santes. Les élé­ments vola­tiles sol­li­citent l’imaginaire par les per­cep­tions aléa­toires. Ceux-là laissent une place cer­taine au hasard de l’accident : l’artiste doit s’y plier afin de l’intégrer dans sa démarche car le feu et sa fumée ne sont en rien des com­plices dociles. Leur maî­trise est impossible.

Jaccard se voit contraint à la fois de fixer mais aussi de lais­ser vaquer cer­taines traces. Le sombre sor­cier fami­lier sait que le feu “n’est pas une femme qu’on retourne et que l’on pos­sède”. Il doit se sou­mettre à la puis­sance des langues phal­liques des flammes.
Elles font de l’artiste leur créa­ture. Elles ouvrent aussi à des pré­sences éva­nes­centes et indomptables.

jean-paul gavard-perret

Chris­tian Jac­card, En Rouge et Noir, Espace Art Abso­lu­ment, Paris, jusqu’au 5 novembre 2022.

1 Comment

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One Response to Christian Jaccard, En Rouge et Noir (exposition)

  1. Villeneuve

    Allu­mer le feu . Abso­lu­ment artistique .

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