Pour une archéologie du commandement
Pour Agamben, un petit livre est un scalpel. Il se propose, à chaque fois, d’élire un maître mot, d’en pratiquer une fine analyse, une autopsie capable d’ouvrir des voies. Cette archéologie de la concision vise ici le commandement. Car si les philosophes ont scruté les mobiles et secrets de l’obéissance, bien peu ont sondé les mystères du commandement, alors même que l’étymologie nous rappelle à quel point nos pensées, depuis le grec ancien jusqu’aux langues actuelles, l’ont justement associé au commencement.
C’est ainsi la généalogie d’un Foucault qui permet à Agamben d’aller, au-delà de Heidegger, sur la trace d’une ontologie primordiale, encore enfouie, mis largement rémanente. La philosophie a commencé par une interprétation de l’être selon une ontologie de l’assertion, couplant la vérité à la réalité. C e faisant, elle a récusé par principe une ontologie du commandement, qui présidait jusque là aux pensées magiques, religieuses, et jusques aux pensées artistiques. Sachons encore entendre l’impératif originaire : bien avant que l’être soit, c’est par l’ordre que Dieu crée. C’est par l’ordre encore, si modeste soit-il, que le fidèle prie. Partout, c’était par l’ordre que se créait l’ordre. Les puissants ont commencé par s’arroger les capacités de création pour s’assurer à la fois la propriété des choses et l’obéissance des hommes. Ils se sont vécus comme les maîtres de l’existence elle-même.
Le livre en son sommet démasque la puissance de ces paroles creuses, de ces verbes vides qui définissent la philosophie : devoir, pouvoir, vouloir. Ces verbes impérieux, qui n’ont de sens que par un autre qui les précise, comme le commandement n’a de sens que par l’action d’un autre. La philosophie peut-elle se défaire de son propre statut d’injonction ? Peut-elle cesser d’être le commentaire d’un mode d’asservissement ? Peut-être en lisant dans le pouvoir le possible, et dans le possible, la liberté…
jean-paul galibert
Giorgio Agamben, Qu’est-ce que le commandement ?, Bibliothèque Rivages, avril 2013, 65 p. - 10,00 €.
Un livre à relire tout particulièrement aujourd’hui après le ”confinement” alors que nous faisons face à un ”gouvernement” qui semble bien être terrifié.…