François Kasbi, Bréviaire capricieux de littérature contemporaine

Fran­çois Kasbi a lu, lit, lira

Je ne connais pas Fran­çois Kasbi. Je le connais très bien. Comme lui, je suis un lec­teur insa­tiable. Un écri­vain sans rime ni par­don, c’est-à-dire quelqu’un pour qui la vie est une réa­lité esthé­tique, un peu plus qu’un long che­mi­ne­ment vers les vacances ou une pro­mo­tion sociale.
Presque tout, dans l’existence, est un pal­lia­tif, voire un soin intri­gant, hor­mis l’amour et la création.

J’avais pour­tant quelques réti­cences devant ce livre de soi-disant « cri­tiques » qu’est Le bré­viaire capri­cieux de lit­té­ra­ture contem­po­raine. En effet, les écri­vains n’admirent que leurs obses­sions, celles des autres leur paraissent obs­cures, voire mal­fai­santes. Ils sont tou­jours l’expédient d’eux-mêmes.
Dans un « cri­tique », on voit tou­jours l’affreux jojo, l’imparable déten­teur de l’avoir tort au sens d’Oscar Wilde pour qui « quand on n’est pas de mon avis, j’ai l’impression d’avoir tort ».

Fort de tous ces pré­ju­gés, j’engageai la lec­ture du livre de Kasbi. D’abord, je fus admi­ra­tif de l’incroyable diver­sité de ses lec­tures. En bon nietz­schéen, il y a des choses que je ne veux défi­ni­ti­ve­ment pas savoir : le péri­mètre du non-savoir ne se super­pose pas à la Docte igno­rance car l’objet de ces fron­tières impo­sées, comme des figures, n’est pas le même.
C’est presque la même dif­fé­rence qu’entre un car­dio­logue et un amou­reux comme le dit Kasbi citant Ara­gon. Kasbi a lu, lit, lira. C’est du césa­risme littéraire.

En réa­lité, ce livre est un jour­nal intime, arti­culé, minu­tieux, et non un patch­work d’articles. En outre, ses pas­sions recouvrent les miennes (ce qui n’est pas tou­jours bon signe) : Bar­bey d’Aurevilly, Hugo, Liron, Ara­gon, même si, curieu­se­ment, il ne consacre aucun article à l’auteur de la Défense de l’infini, qu’il cite dans sa pré­face.
Enfin, il ne cesse de nous faire admi­rer des auteurs, notam­ment Anglo-saxons, à la marge : ainsi, Conrad Aiken et son splen­dide Au-dessus des abysses, « roman dans lequel il ne se passe rien », et donc où tout se déroule comme une tra­ver­sée de mers introuvables.

Quoi qu’il en soit, un homme qui consacre une page à Danilo Kis ne peut pas être un mau­vais gus. Le livre de Kasbi boni­fie en rai­son de ses textes sub­tils et racés : rien de la soupe aux choux et des crampes d’estomac qui en émanent. Sa forme — le bré­viaire — est laby­rin­thique et alpha­bé­tique : laby­pha­bé­tique.
Au sens propre, son bré­viaire est un condensé dont l’usage est quo­ti­dien. Il s’oppose à l’aigreur de tous les mélan­co­liques de la sta­bi­lité créatrice.

Kasbi n’est pas bien­veillant comme un mana­ger bégayant du déve­lop­pe­ment per­son­nel. Mais il écrit sans haine. Il écrit car il a « un défaut qui est devenu un pli : il aime admi­rer ». La haine est la méto­ny­mie des écri­vains médiocres quand ils ne la per­çoivent pas comme un prin­cipe actif de la génia­lité. C’est une diph­tongue de la bêtise des anti-tout.
Des grin­cheux pour­ront dire qu’il manque des écri­vains comme Sta­siuk ou Drieu la Rochelle sur lequel il a, par ailleurs, écrit de très belles pages. Et alors ? Il ne s’agit pas d’une encyclopédie.

Parfois, un bré­viaire a plus de charme qu’une bible. En Orient, le bré­viaire ortho­doxe reste connu sous son nom grec, Synec­di­mos qui signi­fie « com­pa­gnon de voyage », encore appelé Spout­nik en russe. Dans son orbite, l’apesanteur est une grâce. Tout vol­tige. J’aime cette idée que Kasbi, loin de nous tenir la main, nous laisse vadrouiller à tra­vers ses pages comme des sirènes lais­sant échap­per les Ulysse dans leur navette.
Il y a, chez lui, un côté roman­tique d’où le ren­fermé et le plu­meau sont exclus. On a envie de lui ser­rer la main et de dire « ah », ce livre-ci, je ne le connais­sais pas et le lire fut un plaisir.

Kasbi donne envie et, aujourd’hui, n’est-ce pas le plus bel accès au cor­ri­dor égaré au fond d’un défilé qu’est la lit­té­ra­ture ? Il y a des bré­viaires qu’il vaut mieux avoir dans sa poche.
Aris­tote défi­nis­sait le bon­heur « comme une fonc­tion qui s’accomplit bien ». Le livre de Kasbi nous inter­dit, en défi­ni­tive, toute incu­rio­sité et c’est cela, la joie à por­tée de main.

valéry molet

 Fran­çois Kasbi, Bré­viaire capri­cieux de lit­té­ra­ture contem­po­raine, Edi­tions de Paris, Max Cha­leil, 596 p. — 22, 00 €.

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