Nouvelle plume dans les colonnes du litteraire.com, Valéry Molet est écrivain et fondateur des éditions sans escale. Comme le soulignait Karl Kraus, “je croyais qu’il était intelligent et j’ai appris qu’il avait quatre enfants”. Il est père de quatre enfants. Il a grandi en banlieue parisienne et y vit car il aime le béton, les magasins nocturnes, le cosmopolitisme et la créativité. Il rôde parfois au marché aux puces de Montreuil. Il s’en inspire presqu’autant que de la Bretagne, sa seconde passion, du cap Sizun à Plougrescant. Il n’aime ni la morale et ni le mal. Il est l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages: essai, poésies, romans, nouvelles.
C’est à table que l’on parle le mieux de littérature. Cela doit être une affaire de ballonnement. Avec des inconnues.
C’est ainsi que j’ai fait la connaissance de Hélène Bessette grâce à deux femmes, continuatrices du gang du roman poétique, auprès desquelles un ami commun m’avait introduit.
Alors que nous commandions, j’ai cru entendu parler de Marguerite Duras. Zut de merde ! me suis-je dit. Duras est une économe. Elle est tellement économe de fond, de forme et de sens qu’il n’en reste rien. Ses phrases sont tellement vides de vase qu’il n’en reste qu’une fondrière au fond d’un trou noir. Je n’ai jamais compris sa renommée, à moins de la saisir sous la métonymie de l’avarice. Je n’ai jamais pu lire plus de deux pages. Comme Proust. Chaque année, je prends mon bâton de pèlerin, tâchant de franchir la troisième page. Cela ne vient jamais.
A ce niveau d’absence d’éjaculation, il faudrait consulter. Mais je préfère garder ma petite incompréhension. De Duras, je ne garde qu’Antelme et dix litres de rouge par jour, au cas où la résurrection existerait. Parfois, les gens ont si peu de talent que la littérature s’évanouit sous leurs pages. La littérature ne ment pas. C’est le contraire du contraire, une sorte d’ivresse de l’aporie maltraitée par l’opérette.
Quand mes deux convives ont poursuivi sur Bessette, j’étais découragé. Mais, avec du Brie de Meaux sur la langue, j’ai juré que je la lirais. J’ai lu.
Et là, le bonheur d’avoir eu tort m’a ragaillardi. Rien de plus plaisant qu’une mauvaise présomption car, quand on en réchappe, on a l’impression d’être un conquérant. Si la littérature est le contraire du contraire, elle est également un parement de la conquête. Et conquérir, n’est-ce pas le but de l’existence ? Comme de distinguer le Brie de Meaux de celui de Melun ? Mais qui était cette fromagère ?
Eh bien, Bessette était une énergumène évangélique d’elle-même, une anonyme du Mans. Sa vie n’a aucun intérêt, comme tous les écrivains. Son écriture, elle, s’empare d’une existence en soi, sous soi, en dehors de soi. Ses livres sont désespérés, la bonne blague, mais de cette sorte de désespoir placardisé qui ne « s’enferme pas lâchement dans un texte » comme le dit Artaud.
Le désespoir ne s’apparie pas à une couleur terne de la monotonie. Le désespoir, c’est de la joie qui arrive, même lentement. C’est l’inverse de la vie quotidienne avec ses conquêtes spatiales, son amour des animaux, ses dons de soi ou son fétichisme historique. Il faut être désespéré pour supporter le ridicule d’écrire.
Ecrire est une honte parce que cet acte n’implique pas de « théories sans fin » ou « les fumées noires et amères des colères » de l’énergie de vivre. Être un grand écrivain, c’est être supérieur à cette honte, s’en moquer pour éviter d’y sombrer.
Bessette a l’amulette de l’ironie autour du cou. Dans Si, sa soif de suicide est si intense, son sexe si évanescent sous le mâle regard, sa haine des autres si farfelue qu’elle ressemble à elle seule. Être soi est si rare qu’il nous faut la honte d’être supérieur à soi, écrivant. Bessette est esseulée grâce à son égarement. Elle en est couronnée.
Comme Stasiuk, elle sent la déglingue à plein nez. Quand on est paumé à ce point, l’immersion dans le grognement de la vie communautaire n’a plus de sens. Presque toutes les existences finalisent le groin tandis que Bessette craille sur sa branche, corneille perdue dans sa propre fable folle.
Bessette n’est pas inconnue du grand public, elle ne sait pas qu’il existe. Rien n’existe, hormis l’inexistence de la preuve ontologique. Car rien ne peut être pensé de plus grand. Dans sa fougue caustique, Bessette s’apparente à Saint Anselme.
Dans son élan patraque vers la démence retrouvée, elle n’engendre qu’elle-même, loin des mornes plaines mancelles.
N’est-ce pas cela le bonheur ? Partager, durant quelques pages, une folie différente de la sienne comme une promesse de renouvellement de son propre dérangement !
valery molet
Hélène Bessette, Si, Léo Scheer, février 2012, 208 p. - 18,00 €.
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