Celui qui en pince pour la “bonne chère” — entretien avec Jean-François Vernay (Forteresses insulaires)

Pince-sans-rire, Jean-François Ver­nay n’hésite pas pour autant à nous embar­quer en des dys­to­pies insu­laires par un ima­gi­naire nourri de ses terres pre­mières et de ses lec­tures.
Par effet de border-land, le monde est décapé de ses lustres et c’est là l’occasion pour le lec­teur de bien des remises en question.

Quelque chose s’opère qui n’est pas de l’ordre du simple point de vue mais qui consti­tue une sorte de mise en abyme non seule­ment des pay­sages mais du rébus qui habite les hommes qui se cherchent en des lieux fan­tas­ma­go­riques comme l’âme se cherche dans les miroirs.

Jean-François Ver­nay, For­te­resses insu­laires, Édi­tions Sans Escale, avril 2022, 150 p. — 13,00 €.

 Entretien : 

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La pro­messe d’une nou­velle histoire.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Ils ont laissé place à des rêves d’adultes.

A quoi avez-vous renoncé ?
À l’idée que ceux qui sont en mesure de nous offrir un ave­nir plus radieux vont enfin œuvrer dans ce sens. Il suf­fit de voir ce qui se passe du côté de l’Ukraine, et ailleurs dans le monde.

D’où venez-vous ?
D’une “bande de terre bor­dée par le bleu des mers du Sud”.

Qu’avez-vous reçu en “héri­tage” ?
Un ADN, qui vaut ce qu’il vaut.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
La bonne chère.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres écri­vains ?
C’est au cri­tique de me le dire.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Une image por­no­gra­phique, à treize ans. Une chaîne de télé­vi­sion (Sun TV) qui venait de s’installer en Nouvelle-Calédonie n’avait pas tenu compte du déca­lage horaire dans sa pro­gram­ma­tion. Du coup, un film X qui devait pas­ser vers trois heures du matin en France métro­po­li­taine était en accès libre à l’heure du déjeu­ner chez les insu­laires ultra­ma­rins. Et la bévue prit par sur­prise plus d’un ado­les­cent. Inutile de pré­ci­ser que cette chaîne qui tenta d’introduire la por­no­gra­phie à Nou­méa n’a pas fait long feu. [Rires]

Et votre pre­mière lec­ture ?
Mon pré­nom, à un très jeune âge.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Du jazz, du clas­sique et ce qu’on appelle “les musiques du monde” (world music).

Quel est le livre que vous aimez relire ?
“Le Petit Prince”, tous les dix ans, avec un regard nou­veau sur cette his­toire qui nous res­ti­tue notre âme d’enfant.

Quel film vous fait pleu­rer ?
“Bambi”, dans mon enfance, et en règle géné­ral tous ceux qui mettent en scène un per­son­nage qui par­vient à concré­ti­ser ses rêves contre vents et marées.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Un adulte qui n’a pas pris la mesure des années qui passent.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A celui que je serai dans une ving­taine d’années. Il fau­drait que je m’y mette rapi­de­ment. Cela pour­rait être l’entrée en matière de ma pro­chaine fiction.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
La Nouvelle-Calédonie à qui j’entends offrir des mythes littéraires.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
La liste évo­lue au fil du temps. Il me semble que les cri­tiques et cher­cheurs uni­ver­si­taires éta­bli­ront sans grande dif­fi­culté la filia­tion lit­té­raire de For­te­resses insu­laires.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Une belle atten­tion, quelle qu’elle soit.

Que défendez-vous ?
Les valeurs huma­nistes dans un monde bas­se­ment mercantile.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Lacan confond l’amour et le désir, qui n’existe que par le manque, donc grâce à ce que nous ne pos­sé­dons pas. D’où la for­mule “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas…”. Plus concrè­te­ment, sur un plan neu­ro­bio­lo­gique, l’amour c’est don­ner des signaux olfac­tifs à quelqu’un qui les reçoit en sym­biose, jusqu’à influen­cer les émo­tions. Il y a donc un véri­table échange… de phé­ro­mones. C’est une alchi­mie neu­ro­bio­lo­gique, c’est une lec­ture et une inter­pré­ta­tion de l’invisible, comme dans For­te­resses insu­laires. L’on voit bien que, dans la réa­lité, on est loin du tableau à la Edward Hop­per que dépeint Lacan.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Woody Allen est l’un de mes réa­li­sa­teurs pré­fé­rés. Son humour, que d’aucuns qua­li­fient de “juif”, est à la fois mor­dant et très original.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
La réponse est aucune mais quelle était la question ?

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 10 avril 2022.

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