Celle qui peut nous apprendre la sagesse: entretien avec Sandra Gar

De “grès” mais jamais en force San­dra Gar crée des oeuvres impré­gnées de dou­ceur par effet de vagues, d’ailes, de voiles. L’air, la terre et l’eau sa conjuguent dans le sen­sua­lité des formes volup­tueuses là où tout devient un élan dont l’érotisme est sug­géré en divers méandres.

L’impal­pable prend forme là où la dureté de la matière per­met l’incarnation de figu­ra­tions poé­tiques et sen­suelles. L’imaginaire en des struc­tu­ra­tions dyna­miques prend en compte l’idée que la poé­sie visuelle est une façon de mon­trer non autre chose mais de mon­trer autre­ment. Cet acte révèle non pas une essence mais un deve­nir au sein de la réalité.

L’oeuvre est donc moins un retour qu’une avan­cée. Elle est aussi la réponse cher­chée aux angoisses de l’homme par la beauté pro­duc­trice de pos­sibles. C’est aussi une manière de libé­rer les bre­bis du trou­peau, d’inventer un pro­chain car­na­val de formes, de prou­ver que l’amour n’est pas acces­soire.
Et ce, dans ce qui ici déferle au sein des formes certes fixes mais souples et fée­riques. Loin des sté­réo­types et des poi­sons de la nos­tal­gie des grottes s’ouvrent, des formes se creusent et d’autres tré­pignent atten­dant leur envol.

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Entre­tien : 

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Je suis du matin, j’ai des res­sors inté­grés très opé­ra­tion­nels et assez peu de dif­fi­culté pour sor­tir du lit. Tout est bon pour se lever : le tra­vail, l’appel de la vie, un cro­quis, une idée, l’envie d’écouter une musique, d’aller cou­rir ou de man­ger d’un œuf sur le plat… J’ai le matin heureux.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Même si je n’ai pas encore réa­lisé le rêve d’avoir une mai­son avec une grande balan­çoire sus­pen­due à un immense hêtre dans le jar­din et d’aller jusqu’au ciel sous le regard atten­dri de Madona qui chante Like a Vir­gin rien que pour moi, ma vie d’aujourd’hui me semble assez riche pour ne rien regret­ter de mes rêves d’enfant.
En plus, comme j’ai passé beau­coup de temps à rêver, j’ai eu tout le loi­sir de m’inventer de mul­tiples vies. J’espère pou­voir en vivre encore quelques unes qui me font rêver main­te­nant ! D’ailleurs, le rêve qui m’anime depuis tou­jours est celui de par­tir dans les Andes à l’aventure comme dans Les Cités d’Or !

A quoi avez-vous renoncé ?
J’ai renoncé à croire qu’il y a des choses bien et des choses mal. J’ai renoncé à m’agripper à des idées et des idéaux. Je conti­nue à gar­der une haute dose d’idéalisme… je me soigne !

D’où venez-vous ?
J’ai tou­jours un peu l’impression de venir d’ailleurs … Mais en réa­lité, je suis née à St-Etienne, une ville avec sept belles col­lines. Une ville que j’ai sou­vent quit­tée, où je reviens… sa taille humaine et ses lieux post­in­dus­triels laissent s’épanouir les envies assez faci­le­ment. J’ai un ate­lier dans une ancienne usine.

Qu’avez-vous reçu en “héri­tage” ?
Mon héri­tage est à la croi­sée de mondes contra­dic­toires entre une lignée mater­nelle pay­sanne avec ancrage puis­sant et une forte attache à la terre et une lignée pater­nelle tzi­gane plus mar­gi­nale, impul­sive et nomade. J’ai reçu de ma mère une cer­taine révolte d’être née femme et un modèle (mais que fait-on des modèles ?) d’intégrité à toute épreuve. De mon père, un amour des mots autres, les goû­tus, les argo­tiques… et une solide for­ma­tion en bri­co­lage en tout genre ; du couple paren­tal une forme d’insécurité fon­da­trice.
La plus grande for­tune que j’ai reçue me vient de ma grand-mère pater­nelle, qui savait racon­ter sa vie comme une his­toire tou­jours nou­velle et soi­gner les bles­sures de l’abandon, de la tra­hi­son, des camps et de la faim en nous invi­tant dans ses mythes per­son­nels. Tout dans ces choix de vie disait : « Si tu es heu­reux avec peu, tu ne man­que­ras jamais de rien. » J’essaie de suivre cette sagesse !

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Squat­ter la douche ! Ce n’est pas éco­lo­gique, mais j’adore ! Sen­tir l’eau cou­ler sur ma peau, se chan­ter des chan­sons en boucle pen­dant que la buée enva­hit la salle de bain.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres artistes ?
Je ne sais pas si c’est un signe dis­tinc­tif. J’ai dû faire l’expérience de mala­die et du risque de la mort pour m’autoriser à com­men­cer expri­mer ce que j’avais à expri­mer depuis le début.

Pour­quoi avez-vous choisi la céra­mique ?
Comme je l’ai dit, je suis une rêveuse idéa­liste alors ma façon de ren­trer dans le monde de la matière est de mettre les mains dans la terre. Le tou­cher me convient par­fai­te­ment et incar­ner les choses en volume me bou­le­verse et demeure le moyen qui me cor­res­pond le plus. Don­ner forme, don­ner corps, don­ner vie.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Une com­pres­sion de César et un pouce immense en bronze vus en vrai. Je me sou­viens du choc que j’ai res­senti du haut de mes 5 ans. La fas­ci­na­tion pour le jeu de chan­ge­ment d’échelle, la beauté de la tôle tor­due et sur­tout l’envie de tou­cher les reliefs et d’aller glis­ser les doigts dans les fentes et les creux. Il était cou­rant dans la Val­lée du Gier de voir des amas de voi­tures dans les casses et là, de me dire que l’une d’elles avait été réduite en un rec­tangle par la force d’un géant m’avait ravie.

Et votre pre­mière lec­ture ?
Olala ! C’est dur ! La lec­ture m’accompagne depuis tou­jours, à chaque âge ses révé­la­tions et des décou­vertes… Où com­men­cer ? Les albums d’enfant, les contes, les pre­mière lec­tures seules, La case de l’oncle Tom ? Le blé en herbe ? Je crois que les uni­vers fan­tas­tiques d’Allan Poe et celui de Mau­pas­sant aux fron­tières de la folie et de la cruauté m’ont vrai­ment mar­quée en tant que jeune lec­trice. A se deman­der si la folie n’était pas plus saine que les com­por­te­ments humains dépeints de manière réaliste !

Quelles musiques écoutez-vous ?
En ce moment, j’écoute des voix plu­tôt fémi­nines vibrantes et groovy. Des musiques por­teuses d’émotions, de com­bat­ti­vité. De grandes voix comme Ma Rai­ney, Billie Holy­day… et éga­le­ment des chan­teuses contem­po­raines talen­tueuses Melissa Laveau, Lit­tle Simz, Erika Badiu, Fla­via Coelho…

Quel est le livre que vous aimez relire ?
La tri­lo­gie de Giono Regain, Col­line, Un de Beau­mugne, J’aime comme la nature est vivante et comme un per­son­nage. C’est sa per­cep­tion ani­mée, presque ani­miste qui génère l’intrigue.

Quel film vous fait pleu­rer ?
J’ai dû inon­der la salle de ciné quand j’ai vu Rain­nig Stones de Ken Loach. Les scènes qui me font le plus pleu­rer sont sou­vent des moments de gran­deurs d’âme, de mani­fes­ta­tion de dévoue­ment. J’ai la larme plus facile au bonheur.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
En ce moment, je vois quelqu’un qui fonce et qui recule en même temps. C’est assez désa­gréable comme phase. Je ferai une autre réponse dès que je me serai libé­rée de mes freins. Il parait qu’il suf­fit de le décider…

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Sans doute à cer­taines per­sonnes, mais rien de bien mar­quant. En revanche, il y a quelqu’un à qui j’ai osé répondre, écrire et dévoi­ler mes sen­ti­ments. Cet échange a été une magni­fique his­toire et une décou­verte de moi-même.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
La mai­son des Kialty, au hameau du Pin dans la com­mune du Chambon-sur-Lignon en Haute-Loire. J’y ai passé mes étés entre 6 et 13 ans. C’est un lieu de sou­ve­nirs heu­reux et de liberté.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Je me sens proche de Mon­taigne, pour sa pen­sée en saut et gam­bade, ses pas de côtés en période trouble, de Jules Super­vielle pour sa naï­veté por­tée le monde, de Carole Mar­ti­nez dans ses ins­pi­ra­tions de réa­lisme magique, de l’illustratrice San­dra Mon­tar­gex pour ses repré­sen­ta­tions d’une sen­sua­lité primordiale.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Une jour­née de câlins avec tous les gens que j’aime.

Que défendez-vous ?
La libre cir­cu­la­tion des personnes.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Qu’importe, tant qu’il y a des caresses et quelques éblouis­se­ments sur un cœur qui s’ouvre.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Je rajou­te­rais « Oui, oui et encore oui ! » comme dans « cap ou pas cap », quitte à chan­ger d’avis.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Quand part votre pro­chain train ?

Entre­tien et pré­sen­ta­tion par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 16 mars 2022.

1 Comment

Filed under Arts croisés / L'Oeil du litteraire.com, Entretiens, Erotisme

One Response to Celle qui peut nous apprendre la sagesse: entretien avec Sandra Gar

  1. Villeneuve

    Debout ins­tinc­ti­ve­ment le matin et long­temps sous la douche . Pro­logue vivi­fiant et sen­sible qui ava­lise toutes les réponses saines et fraiches d’une artiste joyeu­se­ment créative .

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