Alexandra Anosova-Shahrezaie, La petite utopie anarchiste

Le point G de l’habitus

Alexan­dra Anosova-Shahrezaie offre — afin que nous en fas­sions bon usage — son propre traité de liberté. Dès le début existe une invi­ta­tion à revoir Per­ma­nent vaca­tion (film dont pour ma part j’ignore tout.…) mais selon un rituel par­ti­cu­lier: salle vide, en fumant sous la pan­carte d’interdiction de le faire et d’autres détails. Tous sont propres à nous rap­pe­ler notre vacuité et c’est robo­ra­tif.
Grâce à la poé­tesse, nous nous aper­ce­vons que nous ne sommes pas les seuls.

Le point G de l’habitus et de nos incom­pé­tences notoires est donc caressé de manière pétillante. Nous oublions l’épaisseur crasse de nos insuf­fi­sances notoires.
Ce qui empêche  — et l’auteure le rap­pelle — de  faire des impasses sur les petits plai­sirs du quo­ti­dien : “se laver les mains / avec du savon liquide / qui sent l’herbe fraî­che­ment cou­pée”, ou — pour peu que l’on soit archéo-bouddhiste — faire l’emplette “d’une sta­tuette du dieu Shiva”.

La vie n’est ici ni mon­daine ni for­cé­ment amou­reuse quoique non mona­cale. Certes, par­fois le spleen rend nos visages sem­blables “à des tasses blanches vides/ empi­lées sur la machine à café”.
Et, comme nous et chaque jour, l’auteure s’auto-arnaque en se pro­met­tant tout ce qu’elle ne fera pas. Mais la déré­lic­tion reste secon­daire. Les mots font ce que les actes en leur vel­léité ne font pas.

L’empa­thie envers soi-même est en marche. Car il la faut et ce, dans une “inso­lente invi­ta­tion au voyage”. Elle n’a rien de bau­de­lai­rienne car le périple se limite à rejoindre à la bou­lan­ge­rie de l’angle de la rue…
Mais, et après tout, ce périple peut deve­nir une Amé­rique ou une galaxie qui fait de nous des Chris­tophe Colomb ou des Tho­mas Pesquet.

D’autant qu’Alexandra Anosova-Shahrezaie s’accroche aux pos­si­bi­li­tés de pro­messes. Nous en accep­tons les augures. Et tant bien que mal, une péré­gri­na­tion suit son cours. Avec un regard, ou avec celui des autres, le monde reste inté­res­sant : “comme au temps de tes dix ans / il s’agrandit”. Sans pour autant aller à Bamako. Il suf­fit de vaquer ou “d’évoluer / au beau milieu de l’âge mûr”.

C’est une manière de gran­dir dere­chef. Il s’agit d’accomplir un effort télé­guidé par une vie inté­rieure encore pri­me­sau­tière en dépit des sai­sons.
Et il convient après tout de s’aimer soi-même afin que “ton cime­tière d’idées se trans­forme / en ate­lier d’artiste”.

Le “tu” de l’auteure s’adresse autant à nous qu’à elle. Elle fait de nous des Jack­son Pol­lock de notre exis­tence quo­ti­dienne. Qu’importe qui guide nos gestes sur la grande toile blanche de notre exis­tence chao­tique mais libre.
Allez, encore un effort ! Le faut-il ? Il le faut.

Et qu’importe si, au départ, tout ne fût qu’un “gros bor­del”. Ne traî­nons plus notre vie comme un boulet.

jean-paul gavard-perret

Alexan­dra Anosova-Shahrezaie, La petite uto­pie anar­chiste, col­lec­tion « Voix au poème », Edi­tions du Cygne, Paris, 2022.

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