Lise Charles, La Cattiva

Lise Charles : Capri c’est fini

A 25 ans, Lise Charles exhibe — dans une expres­sion écrite à contexte pic­tu­ral — une série de scènes en varia­tions infi­nies. Elles découlent autant de la struc­ture par­ti­cu­lière de ce roman que du déca­lage choisi afin de trai­ter l’amour sur un modèle aussi dis­cret que com­pré­hen­sif et dans un com­plet mari­vau­dage. A savoir un mélange de légè­reté mais (et on l’oublie trop ) d’angoisse. La roman­cière casse les sté­réo­types pour les rem­pla­cer par leur inverse : les simu­lacres. Les scènes ita­liennes où se mélangent villes rêvées et lieux ima­gi­nées deviennent un espace men­tal dont le carac­tère « théâ­tral » est sou­li­gné. Il per­met de révé­ler les pan­to­mimes incons­cientes de deux esprits en proie au jeu de l’amour.
Ce jeu ne fonc­tionne plus selon les auto­ma­tismes habi­tuels, d’où la sin­gu­la­rité du roman. Ses simu­lacres font échap­per à l’habituel ron­ron nar­ra­tif. Ils sont autant des ten­ta­tives d’exorcisme que de piège phan­tas­ma­tique pour les acteurs et les lec­teurs. Par­tant d’une zone de calme, la fic­tion se met à diva­guer à tra­vers des objets (réels ou ima­gi­naires) aux­quels s’identifie le par­tage (ou l’errance) de ce qui devient un mutisme para­doxal et incons­cient. Par­tant d’une ligne mélo­dique unique à deux voix, peu à peu tout digresse en seconde et en tierce sans pour autant plon­ger dans la caco­pho­nie. Par ces glis­se­ments, le dit et le mon­trable sug­gèrent ce que la rela­tion des deux héros cache d’indicible et de non visible.

Face à la super­sti­tion réa­liste, les simu­lacres de La Cat­tiva consti­tue donc bien la réplique des sté­réo­types du roman d’amour, d’apprentissage et d’éducation sen­ti­men­tale. Les amou­reux s’y retrouvent moins déniai­sés par leur his­toire que par son récit. Preuve que l’amour est une his­toire de lan­gage. Les mots obli­geant à ce que l’histoire ne fait pas, la sen­si­bi­lité n’est plus évo­quée pour émettre une quel­conque impres­sion de l’affect mais afin d’offrir une ana­to­mie de l’amour. Le fait men­tal donne lieu au texte. Et la pres­sion du simu­lacre sol­li­cite chez le lec­teur une double intel­li­gence. Celle de l’incongruité des scènes et celle de la façon de se les « repré­sen­ter ». Le lec­teur devient le com­plice de l’auteure. La seconde n’a donc plus à pré­ve­nir le pre­mier — comme le fit Magritte avec son « ceci n’est pas une pipe » — d’un « ceci n’est pas vrai­ment une his­toire d’amour ».
L’instance roma­nesque pro­jette et limite l’affect à un ter­ri­toire de résis­tance autant qu’à un lieu de l’obsession. Elle per­met, enfin, de pro­po­ser des suites d’appréhensions qui, de la trace de l’union idéale, passe à sa ligne sinon de rup­ture du moins de sus­pen­sion. Reste à savoir s’il s’agit là, comme disait Mal­larmé, d’ « un sus­pens du sinistre » ou non.

jean-paul gavard-perret

Lise Charles, La Cat­tiva, POL, Edi­teur, Paris, 272 p. — 16,00 €.

7 Comments

Filed under Romans

7 Responses to Lise Charles, La Cattiva

  1. Lucien

    Bon­jour,

    Je n’ai pas tout com­pris à votre cri­tique qui me semble un peu obs­cure, mais le livre a l’air inté­res­sant. C’est dom­mage, car j’aurais aimé une cri­tique plus éclai­rante et précise.

    Bien cor­dia­le­ment,

    Lucien Jean­taume

  2. Sylvie

    Per­so­nel­le­ment, j’ai lu ce livre acheté sur recom­man­da­tion d’un libraire (et j’ai été très agréa­ble­ment sur­prise. La langue est par­fois exi­geante, mais l’humour est au rendez-vous fré­quem­ment et les sen­ti­ments de l’amour y sont décrits avec finesse et ori­gi­na­lité. Je recom­man­de­rais ce livre !!

  3. Valérie

    Lise Charles est une brillante lycéenne de 16 ans, et non une thé­sarde de 25 ans comme l’affirme Phi­lippe Lan­çon dans sa chro­nique ! Le style est encore vert, sco­laire , ce qui pré­sente l’avantage d’être “bien écrit” ! Révi­sez vos sub­jonc­tif impar­fait, etc.

  4. noemalienne

    @Valérie: non, non Lise Charles *était* une brillante nor­ma­lienne de 16 ans en 2004 quand elle a rem­porté trois pre­miers prix et un second prix au concours géné­ral (pas ceux men­tion­nés dans l’article de libé­ra­tion). Elle est bien thé­sarde main­te­nant et a déjà écrit plu­sieurs articles.

    • noemalienne

      (Je connais quelqu’un qui l’a côtoyée à l’Ens. C’est en plus une per­sonne par­fai­te­ment modeste et très humaine.)

    • normalienne

      Par­don j’ai fait un lap­sus: je vou­lais dire “était une lycéenne de 16 ans” (et non une nor­ma­lienne ce qu’elle est néan­moins deve­nue 4ans plus tard).

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