Entre étoiles et abîmes — entretien avec le poète roumain Nicolae Petrescu-Redi (Larmes au périscope)

Entre 1995–2021 Nico­lae Petrescu-Redi a publié 30 livres (poé­sie, apho­rismes, éru­di­tion his­to­rique). Ses créa­tions lit­té­raires ont été tra­duites en fran­çais, ita­lien, anglais, alle­mand, grec, serbe, arabe, espa­gnol, sué­dois. Maître de la conci­sion expres­sive, l’auteur est le poète authen­tique des pro­fon­deurs humaines qu’il ne cesse d’explorer.
L’expression fidèle du moi y trouve une renais­sance et Petrescu-Redi ins­ti­tue un dia­logue avec les autres qui reste pour l’écrivain une ouver­ture plus grande à lui-même. Il déblaie un ter­rain pour l’expression d’un au-delà de soi. Elle per­met de scru­ter les silences qui sans ce trans­fert demeu­re­raient dans le silence. Se découvrent une puis­sance de feu et l’ouverture de l’imaginaire. Ou si l’on pré­fère à la fois un tra­jet et séjour.

 Entretien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
L’espoir que ma muse se réveillera aussi.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Pen­dant mon enfance, je me rêvais soit avia­teur, soit com­man­dant de sous-marin. Plus tard,  j’ai décou­vert qu’on peut aussi voler vers les étoiles ou des­cendre dans les abîmes en endos­sant la veste de l’écrivain.

A quoi avez-vous renoncé ?
Pen­dant la der­nière année de lycée, à l’instigation de quelques copains, je me suis mis à fumer. Mais j’ai vite renoncé à ce vice. Mes pou­mons avaient l’air de me souf­fler qu’ils ne vou­laient pas s’envoler, eux aussi, en fumée.

D’où venez-vous ?
Je suis né à Puche­nii Moş­neni, Rou­ma­nie (un vil­lage situé à 45 km de Buca­rest et à 15 km de Ploieşti – la ville où j’habite actuel­le­ment). Le lac, la rivière, le ruis­seau, la forêt par­ache­vaient l’univers fée­rique de mon enfance. Je jouais au ciel éter­nel­le­ment clair mais ne soup­çon­nais même pas que les pas­se­reaux chan­taient uni­que­ment l’hymne de l’instant. Le charme de l’enfance m’a fait abor­der, des années plus tard, la lit­té­ra­ture pour enfants.

Qu’avez-vous reçu en “héri­tage” ?
Mon père m’a légué le sens de l’humour et, en grande par­tie, sa manière de pen­ser. Quand il m’expliquait quelque chose, pour être plus convain­cant, il se ser­vait sou­vent des pro­verbes. De ma mère, j’ai reçu la sen­si­bi­lité. Elle était tou­chée jusqu’aux larmes par une pièce de théâtre, un film, une chan­son au mes­sage généreux

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Le sport ajoute sou­vent un peu de sel à mes loi­sirs. J’aime suivre des par­ties de hand­ball, de ten­nis, de foot sur­tout quand jouent mes spor­tifs préférés.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres écri­vains ?
Les écri­vains se res­semblent par le fait qu’ils sont dif­fé­rents. Cha­cun a quelque chose à dire et le fait à sa manière. Moi, ce qui me rend dif­fé­rent d’un autre écri­vain, ce sont plu­tôt les cri­tiques qui pour­raient le dire. Et vous l’avez déjà fait d’ailleurs dans la chro­nique du livre Larmes au péri­scope (édi­tions Stel­la­ma­ris) que vous avez publiée dans le pres­ti­gieux jour­nal “Lelittéraire.com”

Qu’est-ce qui, selon vous, vous a poussé à écrire ?
Pen­dant mes années de lycée, ma prof de “Langue et lit­té­ra­ture rou­maine” m’a donné une impul­sion vers la poé­sie, vers l’aphorisme. Elle m’a aidé à entendre aussi d’autres tambours.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
J’étais malade. Mes parents me croyaient endormi. Maman priait pour moi à la lumière de la chan­delle. Après des années, quand maman est tom­bée malade, j’ai allumé à mon tour la chan­delle. Elle m’a regardé avec affec­tion, a poussé un sou­pir et a fermé ses yeux. Je croyais qu’elle s’était endormie.

Et votre pre­mière lec­ture ?
C’était un livre de contes de fées. Ensuite, Charles Per­rault, Les Frères Grimm, Hans Chris­tian Ander­sen ont bien su com­ment char­mer un enfant, com­ment le por­ter à tra­vers la magie de la parole. J’avais six ans, je me pré­pa­rais pour l’école. Notre mai­son était mitoyenne avec la librai­rie. Mes parents m’achetaient des livres, ils me pré­pa­raient à y déployer mes ailes. Les années sont pas­sées, j’ai quitté la mai­son pater­nelle, mais la librai­rie reste tou­jours ma voisine.

Quelles musiques écoutez-vous ?
J’ai des pré­fé­rences dans tous les genres musi­caux mais j’admire sur­tout les cory­phées de la musique clas­sique. Avec une place à part pour Eugène Doga. Ses pièces “Valse”, “Gra­mo­phone”, “Waltz of love”, “La Valse des roses” me détendent et me troublent. La valeur du com­po­si­teur est confir­mée aussi par ses deux pièces qui figurent dans le top des meilleures clas­siques de tous les temps.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
J’aime Emil Cio­ran. Quand je relis “Le livre des leurres”, “La fin qui com­mence”, “De l’inconvénient d’être né” je revois, semble-t-il, l’auteur lui-même qui regarde lon­gue­ment les nuages, qui médite sur le bord du pré­ci­pice, qui est triste de ne pas pou­voir jeter un pont là-dessus, mais qui est quand même content de pou­voir le sur­vo­ler sur les ailes de la muse.

Quel film vous fait pleu­rer ?
J’ai vu trois fois le film sur la vie de John F. Ken­nedy. C’est tou­chant. Même si cela peut paraître bizarre, vers la fin je croyais tou­jours que le pré­sident sur­vi­vrait à l’attentat. Mais bien­tôt, sous sa lourde pau­pière, le rêve qui avait allumé le flam­beau allait s’éteindre. Ce pour quoi JF Ken­nedy n’avait plus pu ver­ser de larmes, c’est moi qui les ai ver­sées à sa place.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Mes parents qui me pré­sentent le miroir en venant à ma ren­contre, moi-même qui me regarde dans le miroir de mes lec­teurs et mes lec­teurs qui se mirent dans mon miroir.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Le châ­teau de Bran, construit au XIVe siècle. J’y vais presque chaque année mais pas pour y ren­con­trer le ter­ri­fiant comte Dra­cula, le per­son­nage ima­gi­naire du roman écrit par Bram Sto­ker, mais pour réécou­ter avec émo­tion l’écho des pas de la reine Marie de Rou­ma­nie. Elle avait reçu le châ­teau de Bran en 1920, suite à la déci­sion du Conseil muni­ci­pal de la ville de Braşov. C’était le sym­bole de la gra­ti­tude de cette ville pour sa contri­bu­tion tita­nesque dans la réa­li­sa­tion de la Grande Union. Quand cette reine de légende est pas­sée dans l’éternité en 1938, le châ­teau a été hérité par sa fille, la prin­cesse Ileana, mariée avec l’archiduc Antoine de Habs­bourg. Après la révo­lu­tion rou­maine de 1989, les des­cen­dants de cette famille ont recou­vré leur droit de pro­priété sur le châ­teau qui avait été natio­na­lisé par les communistes.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
J’apprécie beau­coup Bran­cusi, l’inventeur de la sculp­ture moderne. Il a sculpté la “Muse endor­mie”, bien que sa propre muse semble ne dor­mir jamais. On se sent obligé d’apprécier ce sculp­teur aussi pour ses apho­rismes sur l’art. Parmi les écri­vains qui ont capté mon atten­tion, je men­tionne Lucian Blaga – poète, dra­ma­turge, phi­lo­sophe et auteur d’aphorismes, assez connu aussi en France où ont été publiés sept volumes de sa création.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Une bonne nou­velle de cha­cun de mes amis.

Que défendez-vous ?
On tra­verse des temps dif­fi­ciles, on ne retrouve plus la paix. On dirige ses regards vers les étoiles, mais trop sou­vent on n’y voit que l’épée de Damoclès.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Elle m’inspire l’idée que l’amour est un sculp­teur, mais son burin ensor­celé ne touche pas aussi le cœur de la pierre.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
J’aime sa réponse ! Et je sup­pose que la ques­tion en était : “Mon­sieur Woody Allen, vous croyez-vous aussi un grand humoriste ?”

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Je ne sais pas, mais permettez-moi de vous en poser une aussi : “Entouré de nuages, l’homme croit-il encore / Que la Terre tourne autour du Soleil ?”

pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par jean-paul gavard-perret (tra­duc­tion de Vasile Moga) pour lelitteraire.com, le 23 octobre 2021. 

3 Comments

Filed under Entretiens, Poésie

3 Responses to Entre étoiles et abîmes — entretien avec le poète roumain Nicolae Petrescu-Redi (Larmes au périscope)

  1. Anne Marie Carreira

    J’aime beau­coup ces entre­tiens. Y a presque tou­jours un peu de l’intime des per­sonnes inter­viewées que me touche.

    Comme ce poète dans ce paragraphe :

    J’étais malade. Mes parents me croyaient endormi. Maman priait pour moi à la lumière de la chan­delle. Après des années, quand maman est tom­bée malade, j’ai allumé à mon tour la chan­delle. Elle m’a regardé avec affec­tion, a poussé un sou­pir et a fermé ses yeux. Je croyais qu’elle s’était endormie.”

  2. Petrescu Nicolae

    Je remer­cie beau­coup le réputé et tant appré­cié cri­tique lit­té­raire Jean-Paul Gavard-Perret.
    Nico­lae Petrescu — Redi

Répondre à Petrescu Nicolae Annuler la réponse.

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>