Travaillez, prenez de la peine :
C’est le fonds qui manque le moins.
Un riche Laboureur, sentant sa mort prochaine,
Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins.
Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l’héritage
Que nous ont laissé nos parents.
Un trésor est caché dedans.
Jean de La Fontaine
Le livre de Jean-Charles Vegliante (format poche 15,1 x 10,7 cm) se déploie en un récit d’exploration fait de brisures, de brèches, de souvenirs, passage de l’homme mûr à la prime enfance, livre accompagné de quelques photographies — dont l’une détaille des jambes foulant aux pieds la queue couverte d’écailles du dragon, de Satan, du tentateur, de la Bête par exemple.
Sous une forme condensée de précieux compendium, des faits, des événements se déroulent à la vitesse d’une sténotype, d’un bulletin, constitué d’ellipses narratives très fines. Nous y trouvons tout autant les échos de la Toile, que des anecdotes personnelles. Néanmoins, le ton de ce voyage dans les limbes, au pays du souvenir, est doux-amer. En effet, l’on y traverse un pays où « ça parle » d’un temps « révolu ». D’ailleurs, c’est l’auteur qui le déclare : « au fond, notre vie qu’est-elle, ici, plus qu’un cillement (…) ? » Il et je se catapultent, s’inversent, se confondent parfois et se confrontent.
Cette collecte, comme une chasse au trésor, commence au creux d’une forêt « bénie autrefois, désacralisée depuis lors », une forêt enchantée décrite par « des mots enchantés », maîtrise de lettré. L’auteur nous entraîne en arrière, vers l’enfance et son territorialisme sibyllin. L’imaginaire d’un petit garçon de jadis en ressort indemne, vivant, quoique ciselé. Les termes usités proviennent du domaine savant, et sont à la fois mystère et musique : « Sparassis ! Helvelles ! (…) des laiteuses anones aux graines de nuit, de l’étrange grenadille ou fruit de la passion », la « poule des Pharaons », la « pomme du Portugal », le « fruit de Perse », « les cigales de mers », « les longues bonites fuselées », « les dentis solitaires ».
Des stances élégiaques ou tragi-comiques scindent le texte, et une taxinomie botanique et zoologique avoisine d’humbles prescriptions du quotidien. Jean-Charles Vegliante recoud et reconsolide ce qui l’a marqué, à travers des contrées de « chers disparus », des terres d’exil, abandonnées depuis longtemps, par exemple l’Italie que l’écrivain aime passionnément.
Dans un esprit et une méthode déchronologiques, Vegliante révèle des choses insolites, étranges, des vœux pieux tels que « ne proclamez pas la haine qui dévore », des actions antérieures revues après-coup en une sorte de rétrospective posthume. « Remonter dans ses souvenirs c’est comme descendre en apnée », et voilà comment le sujet remonte des décombres de la mémoire, refait surface. Le père renaît, l’immigré, le transplanté, depuis sa terre natale dans une « terre d’accueil », le père « limousinant », « étranger » [qui] sera toujours, quelle que soit sa maîtrise de l’idiome de l’adoption, rejeté dans la masse impénétrable de ces autres ».
J.-Ch. Vegliante travaille la langue, en étymologiste-orpailleur, sa matière textuelle « fourmillante » rentre sous terre, gratte (là où est caché le trésor), bine et ameublit. Émerge alors, en sous-texte, un agrégat coalescent d’images, de citations lyriques, de visions agrestes, de « joies diverses de l’apprentissage ».
L’ouvrage se resserre de manière énigmatique, en présentant diachroniquement des discours qui relient l’écrivain au monde, l’altèrent et l’interrogent. Dans un présent où « triomphe (…) l’Amérique », la médiatisation uniformisée et globale, Vegliante déterre et ressuscite les présences mortes. Des fantômes, des réplicants se clonent, se répliquent au sein de personnes anonymes entraperçues, « à travers la toile serrée du temps (…) lorsque l’aspect est celui d’un disparu, d’une morte (…) d’un enfant », condensation freudienne.
Ainsi, cette autobiographie supposée reste porteuse de métamorphoses, de « ligne de fuite », et cela, dans le but de « subsister, se perpétuer, transmettre l’étincelle insensée », comme l’affirme l’écrivain-traducteur, confession agissante à la manière d’une « perpétuation à rebours ».
yasmina mahdi
Jean-Charles Vegliante, Fragments de la chasse au trésor, éd. Tarabuste, coll. Brèves rencontres, 2021 — 12,00 €.
Jean-Charles Vegliante, ancien élève de l’École normale supérieure, agrégé d’italien, est docteur d’État ès études italiennes, professeur à l’Université Sorbonne Nouvelle — Paris 3, où il a fondé le Centre interdisciplinaire de recherches sur la culture des échanges, émérite depuis 2015. Poète-traducteur. Traducteur de Dante. Prix Leopardi.
Voir aussi, qui vient de sortir :
https://www.facebook.com/photo?fbid=103725835405455&set=a.103379808773391
(procuré par J.-Ch. Vegliante, préface de J.-P. Lemaire).