Collectif, Maux des mots, revue Folazil

Les tré­fonds et l’horizon de tout ce qui nous trame

Toute la lit­té­ra­ture des cents der­nières années est bor­née par deux for­te­resses.
D’un côté, celle où le silence a pu pour la pre­mière fois se dire grâce au mono­logue de Molly Bloom chez Joyce et aux didas­ca­lies de Beckett. De l’autre, celle où le cri que n’osa pas Kafka éructa grâce aux glos­so­la­lies d’Artaud et dans un degré moindre chez Novarina.

Entre les deux se jouent les maux des mots et les mots des maux. Croyant les battre, beau­coup d’auteurs de fait ne touillent que le bol. Le mérite de Marie-Philippe Deloche est donc immense. Pour dire les mots des uns et les maux des autres, elle donne la voix aux écri­vains de la sur-vie et qui a ce titre per­cutent.
Ces excep­tions, au lieu de tom­ber dans une logo­ma­chie tou­jours pos­sible lorsqu’on touche à un tel malaise de l’être et de la civi­li­sa­tion, pré­fèrent tarau­der ou s’amuser avec la pro­po­si­tion d’un tel thème en répon­dant à l’invitation de la res­pon­sable éditoriale.

Certains des auteurs réunis — et c’est le prin­cipe même de cette belle revue — sont dans la société iden­ti­fiés comme “fous”, d’autres comme “nor­maux”. Mais la direc­trice garde comme prin­cipe de ne pas pré­ci­ser qui est qui.
Dès lors, les maitres des hor­loges par­ti­sanes ont soin de ne pas par­ler d’une telle pro­duc­tion : ils ont peur de ce qui leur échappe d’autant qu’ils ne peuvent plus mettre des éti­quettes sur la “nature” de tels écrivains.

Quel délice tou­te­fois de se lais­ser prendre par une telle écri­ture de la diver­sité et de l’alacrité. Par exemple, en un seul qua­train, Denis Mon­cho fait le tour de la ques­tion : “J’ai vu le film “les mots pour le dire” / De tous ces maux il vaut mieux en sou­rire / J’ai appris l’anglais grâce au mot à mot / ça suf­fit de tous ces maux”.
Quant à Myriam Ger­main, elle rap­pelle com­bien le silence les ponc­tue : “créant l’interstice / De ce qui se tait / Il per­met d’advenir”. Par­fois en chute libre.

Mots et maux rede­viennent ainsi les tré­fonds et l’horizon de tout ce qui nous trame. Et ce, dès l’origine jusqu’à la fin du monde et aussi sa réver­sion.
C’est comme si les eaux tom­baient d’en bas, vouées au passé absolu qui, là où elles dégé­nèrent, régé­nèrent l’angoisse ou la joie et l’ouvrent à la créa­tion pour des plon­gées dans la dou­leur comme pour des farces suprêmes.

jean-paul gavard-perret

Col­lec­tif, Maux des mots, Fola­zil, Gre­noble, Juillet 2021, 92 p. — 12,00 €.

2 Comments

Filed under Inclassables, Poésie

2 Responses to Collectif, Maux des mots, revue Folazil

  1. Villeneuve

    Après les pres­ti­gieuses réfé­rences en inci­pit JPGP déve­loppe le sujet avec soli­da­rité des mots pour les Immi­grés des maux . Aidez-vous les uns les autres . Prin­cipe essen­tiel de la sur­vie des auteurs réunis . J’opine aussi .

  2. Anne Marie Carreira

    Mots et maux rede­viennent ainsi les tré­fonds et l’horizon de tout ce qui nous trame. Et ce, dès l’origine jusqu’à la fin du monde et aussi sa réver­sion. ” (JPGP nous emporte avec la magie de ses mots dont seul il a le secret).
    Je n’ai pas de mots pour témoi­gner mon admi­ra­tion envers Marie-Philippe Deloche qui pré­side Fola­zil avec autant de dévo­tion en sou­te­nant des poètes à en deve­nir ou confir­més. “Moments Feconds“en est bien la preuve ! Un grand Bravo à tous ceux qui ont œuvré à la réa­li­sa­tion de ce collectif.

Répondre à Anne Marie Carreira Annuler la réponse.

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>