Cobra, la nouvelle collection du cherche midi (Murnau des Ténèbres & La Grande Vallée)

Un début plus que prometteur

Sous la hou­lette de Jean Le Gall, la mai­son d’éditions sou­haite redon­ner vie au roman de pure ima­gi­na­tion, renouer avec le fumet des fic­tions. Elle veut pro­mou­voir les mille et une formes que peut prendre l’aventure quand elle est por­tée par une (un) authen­tique auteure (auteur). Par­tant de l’idée que la lit­té­ra­ture est d’abord l’extraordinaire, la déme­sure, l’éclatant, elle veut prô­ner le fan­tasmé, l’irréel, bref, l’imaginaire contre le banal et l’ennui.
Ce sont les rai­sons de la créa­tion d’une nou­velle col­lec­tion dénom­mée Cobra. Cet ani­mal n’est-il pas un sym­bole fort, un com­po­sant de l’aventure éche­ve­lée dans des cadres exo­tiques ? C’est aussi une piqure de rap­pel pour un retour au métier.

Deux textes ouvrent cette col­lec­tion le 19 août 2021 : Mur­nau des Ténèbres de Nico­las Chemla et La Grande Val­lée d’Edouard Bureau.
Le pre­mier a pour cadre les mers du Paci­fique sud, le second une val­lée au sein de la chaîne mon­ta­gneuse des Alpes.

C’est un récit envoû­tant que Nico­las Chemla, à la fois anthro­po­logue et écri­vain, consacre au tour­nage de Tabou, le der­nier film de F. W. Mur­nau. Ce cinéaste alle­mand est consi­déré comme le plus grand de l’ère du muet par des poin­tures en matière de réa­li­sa­tion comme Alfred Hit­ch­cock, Éric Roh­mer…
Le nar­ra­teur de Mur­nau des ténèbres (Nico­las Chemla lui-même ?), en 2008 plaque tout à l’âge de trente-cinq ans pour écrire. Il est intri­gué par l’étrange his­toire de Tabou, le film réputé mau­dit de Mur­nau. Celui-ci a tourné, en Poly­né­sie fran­çaise, une œuvre édé­nique. C’est en se ren­dant à la pre­mière de ce film, à Los Angeles, que le cinéaste s’est tué dans un acci­dent de la route. Une sorte de malé­dic­tion planait-elle sur cette œuvre car la réa­li­sa­tion a été mar­quée par des drames et des catas­trophes, des tour­nages s’étant dérou­lés dans des lieux notoi­re­ment tabous ?
Le nar­ra­teur s’installe à une pointe de Tahiti, face au Paci­fique, dans la case où Mur­nau vécu. “À peine arrive-t-il sur place qu’un vieillard décharné approche, à demi nu, tatoué ; ses yeux noirs sont incan­des­cents. Il appa­raît, dans la nuit tom­bée, comme une image vivante de la mort. D’autant qu’il entame un récit d’une pré­ci­sion inouïe sur Mur­nau et son épo­pée dans la Paci­fique : com­ment est-ce pos­sible ?” Le vieil homme conclut en lui disant que ce n’est pas sans risques que l’on trans­gresse des tabous.

Avec un style d’une qua­lité envoû­tante, l’auteur conjugue le récit d’aventures, le conte fan­tas­tique et l’essai phi­lo­so­phique. On se situe à la limite entre rêve et réa­lité, entre vérité et fic­tion.
On retrouve un texte qui renoue avec le souffle des grands écrivains-voyageurs.

La Grande Val­lée d’Edouard Bureau met en scène la nature, la mon­tagne, l’industrialisation et trois per­son­nages prin­ci­paux : Arno le Merle, Belej la Barbe et le Grand Batave. Les deux pre­miers sont des che­vriers âgés res­pec­ti­ve­ment de quinze et vingt ans. Le troi­sième vient du nord et veut méca­ni­ser cette zone rurale.
L’auteur raconte, avec force détails, la nature, cette val­lée blot­tie dans ce mas­sif mon­ta­gneux. Il décrit le par­cours de ces deux jeunes ber­gers en par­tance pour la trans­hu­mance au prin­temps, leurs sen­sa­tions, les odeurs, les sen­teurs, les cou­leurs de ce qui les entoure, de ce qui les enve­loppe. Il fait par­ler les bêtes du trou­peau, les encou­ra­ge­ments des plus vieux ani­maux pour moti­ver les jeunes sur les pentes escar­pées avec des pro­messes de féli­ci­tés, des fleurs extra­or­di­naires à man­ger, des herbes grasses.

Il entre­coupe cette des­crip­tion cham­pêtre par de courtes pages où le poi­son d’une vie plus belle est dis­tillé. Dans les Cents Mai­sons, le vil­lage, les pay­sans, peu à peu sont séduits par ces idées éco­no­miques. Arno com­prend que c’est la remise en cause de leur mode de vie, la fin de tra­di­tions. Et quand le Grand Batave jette sur dévolu sur Jelena, la jolie tis­se­rande dont Le Merle est amou­reux, il part en guerre.
Un bien beau texte, un hymne à la nature, à une vie, certes dif­fi­cile, mais riche en sen­sa­tions, en occa­sion de se sen­tir heu­reux. Le roman­cier fait vivre, avec vir­tuo­sité, une vision de deux mondes bien dif­fé­rents, ser­vie par une gale­rie de pro­ta­go­nistes fort bien campés.

Avec ces deux romans, l’éditeur fait une belle place aux récits d’aventures, aux sen­ti­ments, aux émo­tions dans des cadres exo­tiques cha­cun à leur manière.
Un régal !

serge per­raud

- Nico­las Chemla, Mur­nau des Ténèbres,
– Edouard Bureau, La Grande Val­lée,
le cherche midi, coll. “Cobra”, août 2021, res­pec­ti­ve­ment 240 et 448 p. – 20,00 € le volume.

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