Jean-Paul Gavard-Perret, Les uns et les autres (livre des listes — V)

Les uns disent droite, les autres disent gauche (ceux qui res­tent s’énervent et n’ont pas for­cé­ment tort), Les uns disent blanc, les autres sont noirs, Les uns ché­rissent Van Gogh, les autres Cézanne, Les uns aiment les blondes, les autres ne comptent que sur les brunes, Les uns ont beau­coup à dire, les autres ferment la gueule, Les unes com­mencent où les autres finissent, Les uns tendent vers les autres, les autres se retirent, Les uns sont imper­méables, les autres para­pluies lorsque l’été est pourri, Les unes sont pour la vie, d’autres juste pour un moment, Les uns rabe­laisent, les autres Mon­taigne, les uns mettent un terme, les autres vont aux thermes,

Les uns cherchent une seconde maman, les autres un vague parent, cer­taines sont vir­gules, d’autres points de sus­pen­sions, Les uns aiment le savon, les autres se frottent les mains, Les uns aiment les cinq à sept, les autres prennent le thé à l’amante, Les uns ont l’ivresse lucide, les autres effer­ves­cente, Les uns s’arrêtent de fumer, les autres conti­nuent à se sui­ci­der, Les unes cultivent la vertu, les autres le ruta­baga, Les unes ont l’ovale aus­tère, les autres la bouche en cœur, Les uns entrent dans les ordres, les autres dans le désordre, Les uns aiment la mère, les autres sa bai­gnoire, Les uns pra­tiquent l’ascétisme, les autres se pro­tègent, Les uns sont moites, les autres fuli­gi­neux, Les unes se marient, les autres le regrettent, Les uns enseignent, les autres en saignent, Les unes s’appellent Aga­tha, les autres s’appellent à gâteaux, Les uns louent le des­sin, les autres un mini-bus, Les uns soufflent avec bruit, les autres bruissent avec regrets, Les uns ruent, les autres ave­nuent, les uns mangent des pommes de terres, les autres ont des rôts marins, Quand les unes vont à confesse, les autres s’envoient en l’air mais tous rêvent de mon­ter au rideau, Les uns sont trom­pés par le plai­sir, les autres pour lui, Les uns pré­fèrent les éclairs, les autres les pets de nonnes mais tous redoutent la tem­pête, Les uns se laissent volon­tiers englou­tir par un mur­mure, les autres s’accordent au tin­ta­marre, Les uns pré­fèrent Hergé, les autres la médio­crité, Les unes intro­duisent la notion de néant dans un monde d’apparence, les autres un opéra dans un mor­ceau de musique, Les uns ont une mai­son de cam­pagne, les autres un for inté­rieur, Les uns se sentent mor­ti­fiés de détresse, les autres de n’avoir pas de maî­tresse, les uns ne doutent pas d’eux-mêmes, les autres ont des fins de moi réfu­tables, Les unes sont chauves à l’intérieur de la tête et les autres portent les tresses et par­fois ce sont les mêmes, Les une pré­fèrent les ver­sions et les autres les t’aime, les uns se nour­rissent d’espoir, les autres ont du mal à joindre les deux bouts, les unes se sui­cident d’une balle dans la tête d’autres se blessent le genou en se tirant une balle sous le sein, Les unes chassent le natu­rel, d’autres le font galo­per, Les uns sont ghost­wri­ters, les autres dans le brouillard, Les uns célèbrent Louis XIV, les autres fondent en l’ouïe un espoir insensé, cer­tains pré­fère Ernest Pignon, les autres Ernest Pignon Ernest, les uns vont au strip-tease, les autres se défont de tout, Cer­tains pré­fèrent l’essence, les autres le fuel de l’existence, Les unes ne se quittent pas, les autres ignorent tout de la pas­sion, Les unes doivent ruser avec l’histoire natu­relle pour gagner quelques vrai­sem­blances, les autres se plaisent où le cli­mat n’est pas sou­mis à la tyran­nie des sai­sons, les uns pré­fèrent le lit, les autres sont pieux, Les uns pêchent par excès de pureté, les autres pensent qu’elle appar­tient à la famille des grands pois­sons, Les uns ont le bon goût de vivre sans méta­phores les autres y engrangent des mer­veilles, Les unes cultivent une inson­dable tris­tesse, les autres jubilent d’excitation, Les uns affinent leurs phrases les autres le reblo­chon, Les uns écrivent pour pen­ser, d’autres pensent écrire, tous ignorent que la lit­té­ra­ture est un long et com­pli­qué exer­cice d’imbécillité, Cer­tains cherchent une scène pri­mi­tive, d’autres estiment que le futur est pour demain, Les uns souffrent de la dis­corde, d’autres de trans­pi­ra­tion, Cer­tains pensent atteindre la réa­lité, d’autres s’en tiennent à ses confins blan­châtres, Les uns donnent, les autres pas mais tous finirent par se rendre.

jean-paul gavard-perret

4 Comments

Filed under Poésie

4 Responses to Jean-Paul Gavard-Perret, Les uns et les autres (livre des listes — V)

  1. Anne Marie Carreira

    Les uns écrivent des choses rigo­lotes ,
    les autres lisent et se marrent…
    Et comme ça fait du bien !!!

    Merci JPGP pour ce petit et agréable moment .

  2. Claudia Brutus

    J’adore ce livre des listes ! Quel texte ! Bravo !

  3. Valverde Pierre

    Oui, humour et poé­sie chez toi, font bon ménage JP !
    Très agréable ! à lire confor­ta­ble­ment ins­tallé dans son fau­teuil, avec attention.

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