Valery Molet, Et moi, je rirai de votre épouvante

Amour sur canapés

Celle à qui est dédiée ce livre de poèmes et essais  y demeure par­tout. Dès la pre­mière page où l’auteur l’imagine tel qu’un pan­neau publi­ci­taire pour un canapé. En son nom (tu), tous “les cana­pés sont por­no­gra­phiques”. A l’opéra aussi,  la dérive conti­nue même si le livret de l’oeuvre est indi­gent.
Et il n’est pas jusqu’aux “col­lé­giens, qu’on a forcé à venir” à se retrou­ver bou­ché bée. Bref, la belle rebap­tise tout et refait les décors.

Pour autant, l’auteur ne se limite pas à des consi­dé­ra­tions peu pla­to­niques. Hugo est revi­sité : “C’est le Gerd Mül­ler de la lit­té­ra­ture. À genoux, dans des posi­tions bizarres, en dés­équi­libre, il réus­sit où les autres échouent.” Mal­colm Lowry idem. De même que ‘L’anti-génie, le vol­ca­nique aux yeux de bœuf et un cer­veau félin”, Léon Bloy. Sans oublier Jules Renard, les Gon­court.
Et ce, parce qu’il faut être sérieux quand on parle d’amour. Même si l’on sait qu’en géné­ral ses his­toires finissent mal.

Car Molet ne se fait pas d’illusion : l’amour plonge dans le néant avec ce qu’il char­rie avant que finisse son his­toire, “étron des annales”. Mais il est encore pos­sible — à lire Mar­cel Moreau — de croire à ce qu’il énonça. A savoir “le trou­blant mys­tère de l’inséparation” de même que “l’héritage du Fou et du Monstre”.
Si bien que l’amour ne se quitte pas. Il pour­suit l’auteur “comme une vieille magi­cienne qu’effraierait un cyclope mon­tant une licorne”. Et les Vol­pina de Fel­lini res­tent nos phares, même à une époque où la lit­té­ra­ture n’existe plus ou mal. Mais le sar­cas­tique ne s’en prive pas. Mieux même : il la sauve. Car elle pro­tège des apo­ca­lypses. Elle est donc l’égale de cer­taines gali­pettes. Elles valent bien des messes puisque ces der­nières sont obsolètes.

Et Molet ne sui­vra pas for­cé­ment les logiques de Pou­ch­kine quoiqu’il appré­cie cer­taines  de ses hypo­thèses. Néan­moins, plus que lui,  il est capable de faire des his­toires de déses­poir une absur­dité. Et s’il opte pour une lit­té­ra­ture vivante, c’est pour le sexe — seul moyen même pour un soli­taire, de lut­ter contre la mala­die de l’idéalité et de la nos­tal­gie.
Qu’importe les erreurs, les fautes de goûts et les envi­ron­ne­ments dou­teux. Reste la recherche d’une per­fec­tion par­ti­cu­lière : celle de “l’exquise sen­sa­tion du rejet”. Exit alors les vati­ci­na­teurs : les Hei­deg­ger, les Char, les Guille­vic tous enclins sous leurs fal­ba­las à sté­ri­li­ser ce qu’il pour­rait y avoir d’humain dans le langage.

Finale­ment, tout revient au canapé. Ceux au besoin des bor­dels de Madame Edwarda même si Molet ne va pas si loin. Contre toutes les morts qui nous sont don­nées et que l’auteur rap­pelle à bon escient, l’amour reste le seul objet de la vraie poé­sie. Celle qu’il nomme “apo­pha­tique”, celle de l’amour qui se penche sur lui-même. Car Il n’y a que les imbé­ciles qui pensent “que l’amour rend idiot.“
Et ce, même si son exer­cice est para­doxa­le­ment  d’imbécillité. Mais il met à mal toute hypo­thèse vague. Le reste est glauque, tra­gique ou banal. Eter­nité comprise.

Seule la femme sauve la vie et per­met de l’écrire. Et qu’importe si elle varie.
De fait, c’est elle qui — avec un peu de recul — nous fait rire de notre propre épouvante.

A bon enten­deur, salut.

jean-paul gavard-perret

Valery Molet, Et moi, je rirai de votre épou­vante, Illus­tra­tions de Bap­tiste Car­luy, Édi­tions Uni­cité, 91530 Saint-Chéron , 2021, 80 p.

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