Celle à qui est dédiée ce livre de poèmes et essais y demeure partout. Dès la première page où l’auteur l’imagine tel qu’un panneau publicitaire pour un canapé. En son nom (tu), tous “les canapés sont pornographiques”. A l’opéra aussi, la dérive continue même si le livret de l’oeuvre est indigent.
Et il n’est pas jusqu’aux “collégiens, qu’on a forcé à venir” à se retrouver bouché bée. Bref, la belle rebaptise tout et refait les décors.
Pour autant, l’auteur ne se limite pas à des considérations peu platoniques. Hugo est revisité : “C’est le Gerd Müller de la littérature. À genoux, dans des positions bizarres, en déséquilibre, il réussit où les autres échouent.” Malcolm Lowry idem. De même que ‘L’anti-génie, le volcanique aux yeux de bœuf et un cerveau félin”, Léon Bloy. Sans oublier Jules Renard, les Goncourt.
Et ce, parce qu’il faut être sérieux quand on parle d’amour. Même si l’on sait qu’en général ses histoires finissent mal.
Car Molet ne se fait pas d’illusion : l’amour plonge dans le néant avec ce qu’il charrie avant que finisse son histoire, “étron des annales”. Mais il est encore possible — à lire Marcel Moreau — de croire à ce qu’il énonça. A savoir “le troublant mystère de l’inséparation” de même que “l’héritage du Fou et du Monstre”.
Si bien que l’amour ne se quitte pas. Il poursuit l’auteur “comme une vieille magicienne qu’effraierait un cyclope montant une licorne”. Et les Volpina de Fellini restent nos phares, même à une époque où la littérature n’existe plus ou mal. Mais le sarcastique ne s’en prive pas. Mieux même : il la sauve. Car elle protège des apocalypses. Elle est donc l’égale de certaines galipettes. Elles valent bien des messes puisque ces dernières sont obsolètes.
Et Molet ne suivra pas forcément les logiques de Pouchkine quoiqu’il apprécie certaines de ses hypothèses. Néanmoins, plus que lui, il est capable de faire des histoires de désespoir une absurdité. Et s’il opte pour une littérature vivante, c’est pour le sexe — seul moyen même pour un solitaire, de lutter contre la maladie de l’idéalité et de la nostalgie.
Qu’importe les erreurs, les fautes de goûts et les environnements douteux. Reste la recherche d’une perfection particulière : celle de “l’exquise sensation du rejet”. Exit alors les vaticinateurs : les Heidegger, les Char, les Guillevic tous enclins sous leurs falbalas à stériliser ce qu’il pourrait y avoir d’humain dans le langage.
Finalement, tout revient au canapé. Ceux au besoin des bordels de Madame Edwarda même si Molet ne va pas si loin. Contre toutes les morts qui nous sont données et que l’auteur rappelle à bon escient, l’amour reste le seul objet de la vraie poésie. Celle qu’il nomme “apophatique”, celle de l’amour qui se penche sur lui-même. Car Il n’y a que les imbéciles qui pensent “que l’amour rend idiot.“
Et ce, même si son exercice est paradoxalement d’imbécillité. Mais il met à mal toute hypothèse vague. Le reste est glauque, tragique ou banal. Eternité comprise.
Seule la femme sauve la vie et permet de l’écrire. Et qu’importe si elle varie.
De fait, c’est elle qui — avec un peu de recul — nous fait rire de notre propre épouvante.
A bon entendeur, salut.
jean-paul gavard-perret
Valery Molet, Et moi, je rirai de votre épouvante, Illustrations de Baptiste Carluy, Éditions Unicité, 91530 Saint-Chéron , 2021, 80 p.