Ajusteuse d’énigme et porteuse d’oiseau
Comme toujours chez Denise le Dantec, l’amour côtoie la nature et les temps les plus reculés le présent. Et en mémoire du passé, le présent crée poétiquement un futur d’après le monde et l’intime puisqu’elle s’appuie sur son expérience personnelle, mais l’élargit et l’enrichit pour affronter le “futur”.
A partir d’un maintenant temporel et peut-être chronologique : “C’est l’automne. / Il y a des chabraques de soie plus noires que le noir du cassis./Des tissus d’or et des plissés bleu ciel lançant leur couleur. /Des hampes de nuages. /Un interligne azur.”
Il existe là une danse qui ne peut être encore swinguée (mais d’autres, la poétesse ne s’est pas privée) là où de subtils échos divinatoires s’élèvent des textes à la chair persistante. Existe une musique de la danse en ces poèmes au moment où l’auteure, d’une certaine manière, veut sortir de la poésie placide en de telles textures acides. Entre fiction et réalité, l’écriture se vit avec un feu sourd dans la générosité de transmettre un chemin où la volonté d’apparaître prend un sens particulier loin de tout narcissisme et séduction.
Tout est revigorant hors maniérisme et sans clichés en un mariage de l’intime, des époques et de la nature.
Un travail d’aube avance. Avec plein d’ombres ou de projections. Entre autres “Avec Bellou, une prunelle sur sa bouche / Avec Nora, le front doré de la poire / Avec Anne, l’acta poetica / Marina a déposé son reflet à ses pieds / Lilith, une fleur-velours en flammes / Salomé, des seins en plumes de cygne / Cléo, la roue des cascades / Valérie, le nom des rivières /Angèle, la table les figues une euphorbe ouverte sur le chemin / Irène, une brassée de tribraques et de tarabantara / Béatrice, un nuage en pantalon / Lady de Parma” sans compter ce que l’auteure ajoute : Je vais mettre quelques oiseaux de plus au jardin”.
Par sauts et gambades, Denise de Dantec réalise en conséquence l’injonction qu’elle cite de Marcel Duchamp :“Il faut transformer la crasse du tympan en sacre du printemps.” Et ce, afin que la “Sad song” de Lou Reed, la poétesse — en ses vignettes qui remontent le temps — la dépasse en faisant une certaine abstraction à la douleur. Une sorte d’intemporalité transparaît, ce qui d’une certaine manière est de l’ordre d’épisodes poétiques succincts phosphorescents pleins néanmoins d’intimité à redécouvrir selon une nouvelle piste et des devinettes par rafales excentriques.
Là où, après ses “rappels de jours”, la créatrice exaspère le présent par une projection toute en lucidité pour agrandir, par une voix féminine, un monde qui ne cesse de se racornir.
jean-paul gavard-perret
Denise Le Dantec, La strophe d’après, éditions Sans Escale, mars 2021.