Pour lire Celan, il faut parait-il des explications. Cette plaisanterie vaut bien une analyse.
De la Roumanie aux eaux de la Seine, le Cahier de l’Herne, en donne plusieurs selon un accent géographique d’Est en Ouest au sein d’un trajet à multiples dimensions — interprétations de poème, réflexions, textes inédits ou peu connu, lettres dont celle à sa mère qui clôt le corpus en prouvant que lorsque le sens se perd la seule ressource est l’appel à celle qui resta majeure dans l’existence et la poésie de l’auteur.
La shoah n’est certes pas oubliée. Elle est la rupture essentielle dont la poésie doit absolument tenir compte contre le silence et ce, à travers la langue de cette mère : l’allemand. La langue est donc poétique et maternelle mais aussi celle des meurtriers (qui tuèrent ses ascendants directs). C’est pourquoi elle s’inscrit dans un combat. Le créateur la traverse là où se distinguent “poèmes de vie et poèmes d’existence”.
C’est de la vie que tout part mais le poème s’en départit pour aller à l’existence. Elle devient une sorte de vie autre. Si bien que les poèmes de Celan ne sont jamais biographique — même si le biographique est nécessaire pour comprendre le poète. D’autant que pour lire Celan il faut retenir sa judéité et ses lieux. Il vient d’un territoire particulier que la poésie déploie en un mouvement d’extraction du vécu.
Mais Celan ne cesse de jouer avec le discours porteur de mort. Sa langue en fait l’expérience tout en s’y opposant comme le prouve ce Cahier de l’Herne. Il permet de comprendre que si la langue du poète est de l’allemand, elle appartient à son champ sans en être. Et ce, à travers des “protoparticules” pour la refaire du dedans. Cette langue est donc “supérieurement” de l’allemand. Elle s’enrichit de multiples lectures et est réinterprétée avec virtuosité en ce qui devient un “contre discours” empreint d’agressivité et de tendresse.
Toute la poésie de Celan reste dans cette tension. Et le poète tend la main même à Heidegger et aux suiveurs de l’ “aryenité” épouvantable. L’auteur, pour leur parler, met son armure et leur lance des flèches contre leur traitement linguistique en sa radicalité et sa singularité. Il ne détruit donc pas l’allemand mais un certain discours. Et le solitaire s’adresse à d’autre solitaires pour restituer son expérience dans un geste d’explorateur du langage comme Joyce ou Dickinson.
Le centenaire de la mort de Celan est donc salué comme il se doit par ce Cahier. Précis, documenté il rappelle que le poète ne pouvait écrire les mots “extermination” ou “génocide” et même “juif”. Mais il a trouvé des accents critiques pour aller plus antérieurement que la langue du XXème siècle. Ce qui donna lieu d’ailleurs à des méprises de poètes berlinois d’après-guerre. Ils estimèrent que Celan était un traître à la langue. Preuve qu’ils ne comprirent pas son “envers du souffle”.
Sa langue dans sa virtuosité tient debout au-delà des blessures et de la simple élégie. Les évènements de la vie du poète permirent de tout rejouer — même la mort.
Et ses poèmes restent des petites scènes autour de quelque chose de concret et dépassé.
Existe là une histoire matérielle plus qu’idéaliste de la langue et où la cause juive rejoint celle de tous ceux qui sont sacrifiés et dont la mère reste “l’étoile ronde”.
jean-paul gavard-perret
Paul Celan, Cahier de l’Herne, Dirigé par Bertrand Badiou, Clément Fradin et Werner Wögerbauer, éditions de l’Herne, septembre 2020, 256 p.
De tradition hermétique et symbolique moderne l’œuvre de Paul Celan reste , malgré les douleurs de l’holocauste , l’expression majeure allemande devant la colossale renommée de Rilke . Dépressif , créatif et traducteur de Jacques Dupin le poète rejoint Baudelaire . JPGP transcrit toutes les fraternités .