Henri Abril, Qu’il fasse beau, qu’il fasse laid — Quintils bancroches

Henri Abril en tout temps

Ici, l’écriture clau­dique volon­tai­re­ment là où tout s’offre selon trois modes de lec­ture pos­sibles. Hori­zon­ta­le­ment, les quin­tils des pages paires et impaires se déchiffrent face à face comme dans un miroir.
Ver­ti­ca­le­ment, les pages côté gauche sont thé­ma­ti­que­ment plus proches du vécu concret, de la « leçon de choses » et les pages côté droit deviennent des sortes d’hommage à quelques-uns des poètes qui ont arti­culé l’existence de l’auteur.

Mais les strophes peuvent être sai­sies au hasard “sans exclure un exer­cice de vir­gi­lienne poé­man­cie.“
C’est donc un exer­cice de lec­ture que pro­pose  l’exercice de style d’un livre placé sous le signe dou­ble­ment ins­tru­men­tal (musi­cal et “méca­nique”) de l’incipit du Neveu de Rameau et qui reprend l’aspect dégin­gandé de Dide­rot  lorsqu’il se lais­sait aller à des diva­ga­tions romanesques.

Les quin­tils sau­tillent “proso-diquement” selon une seg­men­ta­tion et une mise en espace des plus astu­cieuse et intel­li­gente. S’y tissent divers rap­ports au monde dans l’invocation de fan­tômes du passé mais aussi de l’avenir.
Une telle errance — néan­moins pro­gram­ma­tique — mélange des poètes fra­ter­nels et rédemp­teurs, des éclats de vie et mort inces­tueuses, d’insolubles corps-à-l’âme.

Et sou­dain, entre “Espagnes et Rus­sies anarcho-messianiques qui, comme Pio Baroja l’avait deviné, se rejoignent aux deux extrêmes du cos­mos eur­asien”, l’irrationnel devient ce qu’il doit être : la dis­tor­sion poé­tique du réel ».
Une enquête filée est tout autant décor­ti­quée dans l’espace et le temps. Abril y tresse un geste de remise sym­bo­lique des plus réussies.

Il replace ou plu­tôt déplace le je. Le livre devient — fai­sant face au wes­tern– un “eas­tern”. Il  fait recu­ler la fron­tière du moi et le creuse. Jaillit la per­cep­tion de bien des per­cep­tions. Elles sont  reprises et cor­ri­gées en une sourde clarté.
Laquelle per­met de voir ce qui n’avait pas encore de nom, de s’approcher de soi en s’approchant de l’autre là où des ombres étendent leurs colo­ris, leur pous­sière, et sur­tout leur dia­pha­neité au moment où  l’imaginaire trouve une bien para­doxale assise.

jean-paul gavard-perret

Henri Abril, Qu’il fasse beau, qu’il fasse laid — Quin­tils ban­croches, Z4 edi­tions, novembre 2020, 200 p. — 16,00 €.

1 Comment

Filed under Poésie

One Response to Henri Abril, Qu’il fasse beau, qu’il fasse laid — Quintils bancroches

  1. Solange

    Je tombe sur votre note juste après avoir acheté ce livre de Henri Abril… Je le connais­sais jusque-là pour ses admi­rables tra­duc­tions des poètes russes (la der­nière vient de paraître : une grande antho­lo­gie bilingue des poé­sies d’Alexandre Blok : Sur le bûcher de neige, éd. Circé 2020). Et je découvre que lui-même est un poète sin­gu­lier. Cha­cun de ses quin­tils me semble d’une telle inten­sité qu’il vaut à lui seul un long poème… Et j’essaierai peut-être ensuite sa ver­sion “poémancie”.

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