Après avoir écrit de nombreux livres sur l’art contemporain, Alexandre Castant a fait le saut dans la véritable création. Il propose, loin de tout dandysme poseur, une esthétique de l’élégance au sein d’un mixage — qu’il souligne ici — entre l’intuition baroque, l’équilibre et l’avant-garde. D’où l’apparition de visions surréalistes où les femmes ont la part belle et par lesquelles se comprend l’admiration de l’auteur pour De Mandiargues.
Le monstre à la fois titube mais tient sur de belles jambes. Des intrigues et imbrications surviennent dans la nudité de l’égarement et le déplacement du regard au-delà des miroirs pour atteindre des ciels, entre morcellements et attentes en une succession de possibles.
Mort d’Athanase Shurail est à la fois érotique et théologal. La force impulsive de l’âme y est reprise par-delà la trivialité pour confronter le regardeur à des démons qui ne sont plus ceux de l’enfer mais ceux que Klossowski nomme “des natures intermédiaires entre les dieux impassibles et les hommes avides de passion”.
Une telle oeuvre joue d’une séduction mais uniquement pour voir derrière notre vie et regarder ce qui se passe au sein de ses tensions. A la parure fait place la sommation.
C’est une dessication : une partie du réel s’éloigne et la plus belle nous revient de manière narrative et poétique.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le matin lui-même. Pour son silence et le lever du jour. Je suis « du matin », selon l’expression ad hoc. Me lever tôt le matin est même, pour moi, la meilleure façon de commencer.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
J’ai eu une enfance si heureuse que, étrangement, elle n’a pas suscité de rêve particulier, hormis sans doute celui de la prolonger. Mon adolescence fut en revanche une tragédie et le seul rêve auquel elle a donné lieu, c’est l’art et la littérature comme principes de survie.
À quoi avez-vous renoncé ?
À l’absolu de mes idéaux, mais pas à leur réalisation.
D’où venez-vous ?
Si vous parlez d’origines géographiques et familiales, de Montpellier, Paris et Varsovie. Autrement, aujourd’hui, du visionnage de Thomas l’imposteur de Georges Franju.
Qu’avez-vous reçu en « dot » ?
L’intuition (baroque) que l’équilibre (classique) et l’avant-garde la plus pointue sont, à un certain point, réunissables.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
L’expérience du paysage.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres écrivains ?
Je ne sais pas. Car, après avoir écrit de nombreux livres d’histoire de l’art contemporain, Mort d’Athanase Shurail est mon premier livre entre fiction et poésie, j’ai donc une certaine pudeur à me considérer déjà comme un écrivain.
Quelle part l’errance possède dans votre oeuvre ?
Du point de vue imaginaire, du point de vue « de » et « dans » l’imaginaire, sa part est essentielle.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Au lycée, un professeur de lettres consacrait régulièrement une séance de ses cours à nous faire découvrir l’histoire du cinéma. Je me souviens de toute la programmation : de Fritz Lang à Luis Buñuel, de Raoul Walsh à Werner Herzog… Dans ce cadre, Citizen Kane de Orson Welles et son dernier plan, qui est aussi la résolution du film, auront été un bouleversement.
Et votre première lecture ?
Après Les Aventures de Tintin, ce sera tout à l’avenant André Gide, Jean-Paul Sartre et Albert Camus, alors disons L’Exil et le royaume de Camus.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Je suis très mélomane et d’un éclectisme inadmissible, de la musique classique (de Pergolèse à Mel Bonis) au jazz expérimental de John Zorn, en passant par Thelonious Monk, David Bowie, Arcade Fire, Fred Frith ou Iannis Xenakis, l’aventure de l’écoute est essentielle dans mon parcours.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
“Les Nourritures terrestres” d’André Gide.
Quel film vous fait pleurer ?
“La Comtesse aux pieds nus” de Joseph Mankiewicz ou “L’Important c’est d’aimer” d’Andrzej Żuławski.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Le temps qui passe.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
À André Pieyre de Mandiargues ! Quand j’étais étudiant, j’écrivais une maîtrise sur son récit Le Lis de mer et on me donna son adresse, mais je n’ai pas osé lui écrire. Il devait décéder peu de temps après que l’on m’a donné cette information. J’avais trop attendu et la rencontre n’a jamais eu lieu. Plus tard, je devais lui consacrer ma thèse de doctorat et rencontré, avec bonheur, son épouse Bona et sa fille Sibylle.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Berlin, New York, Venise, Varsovie, Shanghai…
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Il m’est impossible de répondre à cette question. J’ai une relation « vitaliste » à l’art et à la littérature et, comme disait Mandiargues qui écrivit sur de nombreux artistes qui furent ses contemporains, et qui disait savoir ce qu’il leur devait, précisément : « je sais ce que je dois aux artistes et aux écrivains » ! Cela fait trente ans, cette année, que j’ai publié mon premier article sur l’art contemporain et ce compagnonnage est toujours une révélation.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
C’est par définition la question à laquelle, chaque année à la même époque, je suis incapable de répondre.
Que défendez-vous ?
Une idée, que j’espère très personnelle, de l’esthétique et peut-être de l’élégance, mais normalement ce n’est pas à moi de le dire.
Que vous inspire la phrase de Lacan : « L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas » ?
Le souvenir de séminaires qui m’ont ébloui.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : « La réponse est oui mais quelle était la question ? »
Du Woody Allen dans le texte.
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 25 juin 2020.