Raphaël Meyssan, Les damnés de la Commune – t.03 : “Les orphelins de l’histoire”

Une rela­tion peu banale de la Com­mune de Paris 

Le nar­ra­teur, en l’occurrence Raphaël Meys­san lui-même, découvre dans un livre à la Biblio­thèque his­to­rique de la ville de Paris qu’un acteur de la Com­mune habi­tait, il y a 150 ans, au 6 Rue Lesage à Bel­le­ville, au même endroit que lui. Il a alors l’idée de recher­cher des élé­ments sur la vie de ce Charles Lava­lette dans les archives de la Ville de Paris, de la police et de l’armée. Il res­ti­tue méti­cu­leu­se­ment la vie de ce Com­mu­nard, qui a joué un petit rôle dans l’insurrection mais que l’Histoire a oublié.
Pour faire vivre cette période de ten­sion extrême du samedi 18 mars au dimanche 28 mai 1871, il pro­pose de suivre, outre Charles Lava­lette, Vic­to­rine, une modeste pari­sienne. Mariée à Chartres, elle et son mari sont mon­tés dans la capi­tale. Elle vient de perdre son gar­çon de sept ans. Elle dit la misère du peuple, l’alcoolisme de son époux…

Raphaël Meys­san consacre trois tomes à ce récit. Après la des­crip­tion des cir­cons­tances qui amènent l’auteur à s’intéresser à cette Com­mune (À la recherche de Lava­lette — Del­court, 2017), après un album consa­cré aux batailles que mènent les Pari­siens contre deux armées, celle des Prus­siens et celle des Ver­saillais (Ceux qui n’étaient rien – Del­court, 2019), l’auteur pro­pose de conclure avec ce qui fut appelé La Semaine san­glante qui signa la fin de ce mou­ve­ment inédit.

À tra­vers les par­cours de ses héros, l’auteur relate jour par jour, par­fois heure par heure, les évé­ne­ments les plus signi­fi­ca­tifs du sou­lè­ve­ment, les avan­cées démo­cra­tiques et sociales, la vio­lente répres­sion par les auto­ri­tés. La Com­mune de Paris se ter­mine dans des flots de sang. Dans Les orphe­lins de l’histoire Raphaël Meys­san raconte l’épisode final. L’album s’ouvre sur la des­truc­tion de la colonne Ven­dôme que des Com­mu­nards ont décidé d’abattre car, à leurs yeux, elle repré­sente le sym­bole des guerres.
Raphaël Meys­san intro­duit une belle dose d’humour quand il fait recon­naître, parmi la foule ras­sem­blée pour l’événement, Jacques Tardi, un des­si­na­teur Lyon­nais contem­po­rain qui a fait une bande des­si­née sur le sujet. Et puis c’est la des­crip­tion de cette semaine san­glante où l’armée prend pos­ses­sion de chaque quar­tier, fusille à tout va, ins­talle dans l’urgence des tri­bu­naux qui déportent à tour de bras.

Les mili­taires exé­cutent som­mai­re­ment les hommes, les femmes et même les enfants. Les corps sont enter­rés sur place, un peu par­tout. Des pro­cès bâclés condamnent à la pri­son, des cel­lules si insa­lubres que les déte­nus meurent de fièvre typhoïde ou du scor­but. Cepen­dant, cer­tains peuvent se réfu­gier à Genève, en Grande-Bretagne, en Bel­gique ou aux Pays-Bas.
Deux nar­ra­tions coha­bitent au sein des planches. Dans des car­touches de cou­leur crème l’auteur décrit sa démarche, ses recherches, les dif­fi­cul­tés à trou­ver les infor­ma­tions et livre ses réflexions quand à la situa­tion, com­pare les deux époques. Dans des car­touches blancs, il raconte l’histoire des par­ti­ci­pants à la révolte, leurs pen­sées, leurs atti­tudes, leurs attentes. Il place, lorsque néces­saire, des dia­logues dans des bulles.

On retrouve les grands évé­ne­ments, les indi­vi­dus de pre­mier plan, ceux dont l’Histoire a retenu les per­son­na­li­tés, les faits. Mais, la nar­ra­tion s’attache éga­le­ment à la vie des Sans-grades, des Obs­curs, des Invi­sibles. Ce qui sur­prend, étonne, séduit, est la forme gra­phique rete­nue.
Toute l’histoire est illus­trée à par­tir de gra­vures issues de jour­naux, revues, livres du XIXe siècle, en noir et blanc.

Celles-ci sont réajus­tées, reca­drées, décou­pées, striées, dis­po­sées de telle manière qu’elles ini­tient le mou­ve­ment. Ces gra­vures confèrent une authen­ti­cité au récit. Cer­taines sont, tou­te­fois anté­rieures à 1871, comme cette superbe vue de Paris avec Notre-Dame au pre­mier plan. La flèche construite par Eugène Viollet-le-Duc, et inau­gu­rée en 1859, est absente.
Mais, l’atmosphère est ren­due, l’immersion est totale, et c’est l’essentiel.

Avec Les dam­nés de la Com­mune, Raphaël Meys­san signe une tri­lo­gie remar­quable tant pour la teneur de ses pro­pos, le détail des évé­ne­ments que sa pré­sen­ta­tion gra­phique excep­tion­nelle.
Cette tri­lo­gie est une belle idée de cadeau pour tout ama­teur de beaux ouvrages.

serge per­raud

Raphaël Meys­san, Les dam­nés de la Com­mune – t.03 : Les orphe­lins de l’histoire, Del­court, coll. “His­toire et his­toires”, novembre 2019, 176 p. – 23,95 €.

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