Zéno Bianu, Traité des possibles

Poésie pour notre temps de clôture

A qui veut savoir ce que “peut” la poé­sie, il faut tou­jours reve­nir à Zéno Bianu et sa manière de s’emparer du temps, des élé­ments et de la méta­phy­sique trans­ver­sale : l’auteur reste un maître de la poé­sie d’Orient et de l’Inde.
Il a tra­duit notam­ment de Kri­sh­na­murti et de Cho­gyan Trungp et vient de diri­ger Un feu au coeur du vent — Tré­sor de la poé­sie indienne (Poé­sie / Gal­li­mard, 2020).

Sa propre poésie-action fonde une réflexion sur les che­mins de la sen­si­bi­lité et du savoir. Et, à l’âge de l’individualisme mais aussi des grands cham­bar­de­ments que nous subis­sons, il s’agit de se déga­ger de bien des idées acquises. L’oeuvre de Bianu per­met ce saut.
Face à ce qui est pré­fé­rable pour l’heure : se cal­feu­trer, se tenir à dis­tance, se pro­té­ger pour pro­té­ger les autres, l’auteur sait qu’il va fal­loir affron­ter ensuite un moment où ce ne sera pas tenable et qu’il fau­dra se réveiller.

Dans ce but et depuis long­temps, Bianu veut à la fois nous faire quit­ter le rêve absurde de l’avoir et le cau­che­mar d’un tissu éco­no­mique détruit. Avec comme leçon de réa­lité le fait que, si le ralen­tis­se­ment éco­no­mique amé­liore bel et bien l’état de la pla­nète, il est d’autres moyens d’y par­ve­nir que la fer­me­ture.
Toute la poé­sie de Bianu indique — dans la bien­veillance du confu­cia­nisme — que l’homme ne devient humain uni­que­ment en sa rela­tion avec autrui. Et le poète reste un des pre­miers à avoir mis l’accent sur la remise en cause d’une mon­dia­li­sa­tion de la déme­sure basée sur l’avidité, le mépris des condi­tions éthiques du contrat social entre les êtres humains.

Grâce à lui, du moins, c’est un espoir peut-être fou, il va fal­loir réap­prendre ce qu’il nomme l’ “Alpha­bet des éblouis­se­ments” pour éta­blir des thèses dignes de ce nom, des modèles les plus raffi­nés que ceux sur les­quels le monde est régi par un égoïsme étroit.
L’objectif est de réap­prendre une nature pre­mière que nous avons gal­vau­dée et qui, dans cette période d’enfermement, reprend sans nous sa liberté et en même temps nous rap­pelle à elle.

“Prudente. Elle s’applique à cacher ses méthodes sous la splen­deur de ses pro­duc­tions. L’émerveillement, la beauté, la diver­sité des formes qu’elle invente, sont en réa­lité des stra­té­gies de dis­si­mu­la­tion.” La poé­sie de Bianu fait de même en nous rame­nant au peu que nous sommes.
Et ce, dans l’espoir non seule­ment d’une sor­tie de crise mais d’un poten­tiel salut de la Terre et de ses loca­taires.
Mais l’effort est de mise. C’est donc bien de poésie-“action” dont il s’agit.

jean-paul gavard-perret

Zéno Bianu, Traité des pos­sibles (avec Soixante-quatre des­sins de Richard Texier), Fata Mor­gana, Fon­froide le haut, 1998, 80 p. — 150,00 €.
- repris dans Mani­feste de l’élastogenèse de Richard Texier,  Fata Mor­gana, Fon­froide le haut, 2018.

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One Response to Zéno Bianu, Traité des possibles

  1. Anne Marie Carreira

    (La poé­sie de Bianu fait de même en nous rame­nant au peu que nous sommes.
    Et ce, dans l’espoir non seule­ment d’une sor­tie de crise mais d’un poten­tiel salut de la Terre et de ses loca­taires.
    Mais l’effort est de mise. C’est donc bien de poésie-“action” dont il s’agit.)

    Merci JPGP de nous don­ner envie de lire !
    La qua­lité de tes chro­niques ont la magie de nous inté­res­ser aux
    sujets dont tu parles avec autant de pas­sion et de talent !

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