Paule du Bouchet, Emportée (suivi d’une correspondance de Tina Jolas et Carmen Meyer)

Une si longue absence

Après ses nom­breux tra­vaux d’éditions (entre autres créa­tion du dépar­te­ment de musique chez Gal­li­mard) et de lit­té­ra­ture (romans, albums pour la jeu­nesse), Paule du Bou­chet a écrit il y a deux ans un récit dédié à son père, le poète André du Bou­chet : Debout sur le ciel. Empor­tée en devient une sorte de com­plé­ment en hom­mage à sa mère. Ecrit en 2011, il repa­raît dans une édi­tion com­plé­tée.
Elle quitta sa fille de 6 ans et le foyer fami­lial au nom de l’amour absolu que cette femme (Tina Jolas) porta pen­dant trois décen­nies à René Char. Ce texte très intime évite le défaut des simples mémoires et se tourne même par­fois en un exer­cice d’admiration qui peut lais­ser pan­tois tant la vie vécue par l’enfant fut for­cé­ment difficile.

Pour remon­ter l’existence de sa mère, Paule du Bou­chet casse le temps. Elle évite la farce de la chro­no­lo­gie. Le texte est à l’image de la vie des deux femmes : “Dans ces mor­ceaux épars gît toute la com­plexité de nos vies emmê­lées : les plans de réa­lité à double, triple fond”. Pour autant, ici vivre n’est pas tri­cher (enfin presque), l’existence “double” n’est pas men­songe car, chaque fois, il s’agit de pré­ser­ver une ou des véri­tés dont les super­po­si­tions se veulent un déli­cieux mille feuilles.
Mais à la fin, le “pâtis­sier” de la mère sort du mythe en presque par­fait salaud. Certes, ni la fille ni la mère  ne se per­met­traient de sou­li­gner une telle infir­mité un tel ou ava­tar du génie même si les deux lui ont sacri­fié une par­tie de leur vie — l’une de gré, l’autre de force.

Tout le livre est un “sans toi” que la fille subit. Puisque la pré­cieuse pos­si­bi­lité du par­tage n’est pas vrai­ment pos­sible avec cette mère éprise — sinon plus tard, bien plus tard. La pre­mière la com­prend et l’évoque avec dou­ceur même du bas de son sta­tut de vic­time. Le livre est remar­quable : les émo­tions sont émises dans l’impeccabilité poé­tique et musi­cale d’une écri­ture sans fio­ri­ture.
Elle “neu­tra­lise” juste ce qu’il faut le pathos. L’adolescente qui devient louve dolente ne fait que tirer des constats de détresse évidente.

Reste une manière élé­gante de mettre la souf­france à dis­tance, comme ses géni­teurs l’ont mise eux aussi à la même place. Pour la fille, il n’y a guère de plé­ni­tude et la “dea­rest” de Tina Jolas est moins son enfant que l’amie — Car­men Meyer — dont est publié en fin d’ouvrage la cor­res­pon­dance avec l’éprise de liberté en ses figures de séduc­tion et de dis­pa­ri­tion.
Il ne resta à Paule du Bou­cher sou­vent que le silence face à celle qui, comme Piaf, fut empor­tée par sa propre  “foule”. Mais ce livre est un moyen de le com­bler. Avec grâce et intelligence.

jean-paul gavard-perret

Paule du Bou­chet, Empor­tée (suivi d’une cor­res­pon­dance de Tina Jolas et Car­men Meyer), Edi­tions des femmes — Antoi­nette Fouque, 2020, 128 p. — 14,00 €.

1 Comment

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One Response to Paule du Bouchet, Emportée (suivi d’une correspondance de Tina Jolas et Carmen Meyer)

  1. Jeanne

    Sub­tile, poé­tique et fra­cas­sant d’amour. Merci pour le par­tage. Texte magni­fique tout comme les lettres.

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