Valéry Zabdyr, L’exquise sensation du rejet

Vies sans crédits

La déré­lic­tion est un sen­ti­ment quelque peu maso­chiste. Mais elle per­met d’entretenir avec soi et les autres une sorte de man­sué­tude quand rien ne va. D’où l’aspect par­ti­cu­lier de ce roman de for­ma­tion. Il res­semble quant à l’approche du monde et de la vie à L’Amérique de Kafka.
Zab­dyr comme son aîné y traite par l’ironie et la farce ce qui ne prête pas for­cé­ment à rire.
Mais c’est une manière de tra­ver­ser la vie lorsque, au sein même d’une période de construc­tion, “la pers­pec­tive, l’anticipation, le bon­heur avaient été rayé des dic­tion­naires”. La condi­tion ver­ti­cale dans un uni­vers brut et fermé n’est plus de mise : “tous avaient les jambes en l’air” mais pas pour s’y envoyer — même si l’auteur ne se prive pas de racon­ter des anec­dotes mor­dantes. Il s’agit juste de la situa­tion sar­trienne de ceux qui se retrouvent dans les pou­belles autant de l’Histoire que de Paris ou de sa banlieue.

La condi­tion coma­teuse devient la loca­li­sa­tion majeure des per­dants qui n’ont rien de magni­fiques. Des jeunes loups des années 80, il ne reste rien. Même pas les dents. Juste une rage là “où le cha­pe­let des vivants ne pré­fi­gure qu’une adjonc­tion au rosaire des morts indis­tincts”.
Tout le reste — si reste il y a — est fou­taise.
Un tel livre ne peut donc être recom­mandé aux neu­ras­thé­niques. Quoiqu’il soit après tout pos­sible de soi­gner le mal par le mal. Quant aux autres, ils sau­ront appré­cier cette dérive (et reprise par­tielle) là où tout est par­fai­te­ment agencé.
C’est ce qui donne la force au livre. Le nar­ra­teur affirme que “les mots deviennent des ouis­ti­tis qui virevoltent’”.

Mais Valéry Zab­dyr les maî­trise afin d’offrir une éter­nité à son style au moment où les zones mor­tuaires (pri­son, hôpi­taux voire sim­ple­ment les rues) se rem­plissent et donnent lieu ici à un exa­men exhaustif.

jean-paul gavard-perret

Valéry Zab­dyr ( Valéry Molet), L’exquise sen­sa­tion du rejet, Edi­tions Sans Escale, Saint Denis, 2020, 160 p. — 13,00 €.

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