Matelathématique des langages : Annie Le Brun
Annie Le Brun propose un questionnement premier et une analyse majeure du rapport entre les mots et les images. Elle développe un point de vue nouveau, peu envisagé. Le rapport à la déterritorialisation que Deleuze et Guattari avaient entamé.
Intuitive face aux artistes et écrivains, elle présente son “espace inobjectif” à travers ce que art et littérature offrent comme “paysages”. Le désir profond de représenter le monde est remis en cause au moment où l’essayiste précise le verbe “représenter”. Raymond Roussel reste le parangon d’un mouvement de prolifération et de “trains” entre littérature et images dans — et entre autres — la description minutieuse des machines qui n’existent pas.
Cette question de la “re-présentation ” fait partie des recherches d’Annie Le Brun depuis longtemps. Et son point de vue est capital dans l’émergence d’une autonomie de re-production paradoxale : s’éloigner, voir tourner le dos au paysage pour qu’il revienne avec tous ces archaïsmes. Tous les procédés littéraires ou plastiques évoqués deviennent des inscriptions qui s’effacent devant la réalité absente mais qu’ils recombinent par déplacements.
Et ce, quels que soient les écoles et les genres — de la poésie romantique en passant par le rococo comme la poésie aléatoire dans la “matelathématique des langages” et leurs combinaisons et interstices.
Tout dans ce livre est infiniment juste. Chaque artiste a son histoire qui le relie aux mots, et chaque écrivain aux images. Et même lorsque, pour eux, l’exemplarité est fort ancienne ou inconsciente, les archaïsmes surgissent tôt ou tard… ils remontent “comme des fantômes”. Dès lors, tout le parcours de l’imaginaire et le désir passent par cet “entre” des mots et des images où, dans une libre compensation, un rééquilibrage d’une activité à l’autre, l’image comme le mot induit un « il était une fois » qui joue avec l’objectivité, le bouscule.
Et si les deux termes (mot et image) ne vont pas de paire voire alternent, qu’importe.
Un tel “espace inobjectif” fait que l’artiste et l’écrivain digne de ce nom n’oublie jamais la remarque de Beckett (à Charles Juliet) à propos des défenseurs du “réalisme” : “ils nous emmerdent avec leur histoire d’objectivité.
jean-paul gavard-perret
Annie Le Brun, Un espace inobjectif. Entre les mots et les images, Gallimard, coll. Art et Artistes, Paris, 2019, 588 p. — 28,00 €.
Annie Lebrun revient à l’essentiel espace inobjectif sans se laisser embaumer dans ses ex tribulations du féminisme au temps d’Evelyne Sullerot . L’actualité prend la relève …