Martine Roffinella évite dans Sang Fille tous les pièges : celui du règlement de compte, de l’autofiction mais aussi de la fiction platement narrative. Là où pourtant il existe aucune véritable coupure mais où “suivre son cours” est sinon une vue de l’esprit du moins un parcours grevé d’ornières.
Les mots se bousculent. Parfois la barre oblique tient lieu d’attache à leurs wagons, parfois ils se coagulent en attente de ce qui ne viendra jamais puisque n’étant jamais advenu au temps voulu — ou espéré. Dès lors, exit les images sinon celle du titre pour tenter de faire mieux ressentir ce que les mots comme les êtres font seuls dans leur coin.
Les uns comme les autres n’ont pas le choix. Tout titube là où en un mouvement plus de retrait que d’avancée la main “confond / superpose les degrés du réel”. Du moins ce qui en reste dans le seul désir de la page à remplir — pour tenir contre “le vent de la mort” qui emporte le père. Restent l’écume de ses traces, la douleur de sa pusillanimité (euphémisme).
Néanmoins, plutôt que demeurer abasourdie et sonnée, sa fille “qui ne possède aucun visage ni joue à embrasser” se bat avec tout ce qui reste. Mais, comme dit la chanson, “Tout le temps qui passe ne se rattrape guère… Tout le temps perdu. ne se rattrape plus ”.
Toutefois le “sang fille” — coulant à flot - fait retour pour renouer ou laver les fils perdus. Si bien que de l’ inconscient surgit un autre chant : “My dearest, my dearest, I languish (ter), I languish for you, I’ ne’er no ne’er shall be free” (Purcell). Certes, si cet inconscient ne peut se dire tel quel, il tend ce beau livre d’amour à l’envers.
Mais d’amour tout de même. Il ouvre des questions plus qu’il ne les referme.
lire notre entretien avec l’auteure
jean-paul gavard-perret
Martine Roffinella, Sang Fille, Editions Rhubarbe, coll. “Livres à part”, Auxerre, 2019, 56 p. — 5,00 €.
Quel bel article ! Tellement senti, argumenté, nourri de sensibilité extrême. On rêverait que tous les journalistes, les chroniqueurs littéraires lisent avec autant de profondeur les publications à défendre !
Félicitations sincères.
plus que journalisme…