Celle qui soigne son mal de tête : entretien avec l’artiste Lucie Geffré

Il existe chez Lucie Gef­fré quelque chose de solaire. Certes, ses images ne le sont pas for­cé­ment tant il existe dans ses por­traits une forme de gra­vité. Héri­tière de toute une tra­di­tion clas­sique et hol­lan­daise du genre, elle leur donne une acuité visuelle pré­gnante. Elle y recherche une vérité d’appartenance sans le moindre effet super­fé­ta­toire.
Bref, elle ne triche jamais et c’est ce qui donne aux por­traits une telle pro­fon­deur. Ils s’enrichissent de toute la culture et du savoir-faire de la créa­trice. Dans de telles oeuvres, quelque chose dérape et se rehausse. Le plein se défait au pro­fit du creux — l’inverse est vrai aussi. La sidé­ra­tion se fait tou­jours dis­crète et puis­sante pour tou­cher aux confins de l’apparence.
Il convient donc de prendre le temps de regar­der de telles œuvres pour en appré­cier les échos. La puis­sance des tableaux n’est pas uni­que­ment évé­ne­men­tielle ou réfé­ren­tielle, elle parle (de) l’être.

L’artiste expose en juin-juillet 2019 à la gale­rie Ruffieux-Bril de Chambéry.

 Entretien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
L’envie d’une tasse de thé, l’envie de faire plein de choses, l’envie de peindre…

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Au risque de défor­mer mes sou­ve­nirs, j’ose croire que je n’en suis pas trop loin.

A quoi avez-vous renoncé ?
Vin blanc + rhum arrangé = mal à la tête.

D’où venez-vous ?
D’une famille moi­tié fran­çaise, moi­tié anglaise. D’une ville (Bor­deaux) que j’aime mais qu’il était indis­pen­sable de quit­ter (ça aurait pu être n’importe quelle autre ville, le besoin de par­tir étant aussi inex­pli­qué que nécessaire).

Qu’avez-vous reçu en dot ?
Une biblio­thèque, quelle chance.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Du cho­co­lat

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres artistes ?
Je ne sais pas. Je ne veux pas le savoir en quelque sorte. Il faut essayer d’être sin­cère dans sa démarche, sans s’occuper de se démar­quer des autres. L’originalité décou­lera de cette sin­cé­rité, elle ne devrait pas se cher­cher pour elle-même.

Com­ment définiriez-vous votre approche du por­trait ?
Je suis fas­ci­née par le por­trait en par­tie parce qu’il porte en lui cette ambi­va­lence fon­da­men­tale : la coexis­tence de la pré­sence et de l’absence. Il est une trace de l’être et dans le même temps, le signe de sa dis­pa­ri­tion. Il est aussi une injonc­tion, il appelle à une com­pas­sion et une soli­da­rité. Lévi­nas le dit si bien : « le visage s’impose à moi sans que je puisse ces­ser d’être res­pon­sable de sa misère ». Avec le côté lumi­neux aussi. Il exhorte à croire en la dignité de chaque être humain. Je ne résiste pas à citer éga­le­ment Pré­vert : « Comme cela nous sem­ble­rait flou, incon­sis­tant et inquié­tant, une tête de vivant, s’il n’y avait pas une tête de mort dedans ».

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Une repro­duc­tion d’un des­sin de Escher dans le bureau de mon père.

Et votre pre­mière lec­ture ?
“Jane Eyre”

Quelles musiques écoutez-vous ?
Nina Simone, du fla­menco, Bob Dylan…

Quel est le livre que vous aimez relire ?
Apol­li­naire, “Alcools”.

Quel film vous fait pleu­rer ?
Je suis une grande pleu­reuse devant l’éternel alors la liste serait longue… Mais disons “La vie est un miracle” de Kusturika.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Une per­sonne chan­ceuse et reconnaissante.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
En géné­ral, j’ose. J’ai même écrit à Ing­mar Berg­man, c’est dire si ma folie est grande !

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Alexan­drie (depuis le Quatuor)

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
J’admire, je suis tou­chée et nour­rie par les peintres Zoran Music, Ibra­him Shahda, Käte Koll­witz, Adrian Ghe­nie… Pour les écri­vains, Tho­mas Bern­hard, Marie Ndiaye, Car­son McCul­lers, Mar­gue­rite Yourcenar…

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Un voyage à Amster­dam pour voir les Rembrandt.

Que défendez-vous ?
La tendresse

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
C’est génial. Mais le contraire pour­rait aussi être vrai d’ailleurs.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
J’adore!

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
« Que pensez-vous de mes ques­tions ? » — La réponse est oui, elles me plaisent beaucoup.

Entre­tien et pré­sen­ta­tion réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 28 mai 2019.

1 Comment

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One Response to Celle qui soigne son mal de tête : entretien avec l’artiste Lucie Geffré

  1. Villeneuve

    Ren­contre dans la réus­site du por­trait : Lucy Gef­fré au pin­ceau et JPGP aux mots .

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