Les embrigadements de l’histoire familiale
Dans un appartement à la décoration soft, une scène de dispute, le couple fait l’amour ; finalement elle le tue. La musique est mélodramatique. Il s’agit bien d’une scène, qu’on revoit sous plusieurs angles : on assiste au tournage d’un film, puis à son montage. Nous sommes dans le monde d’Hyppolite, le cinéaste ; on découvre son univers mental à travers le bégaiement de ses représentations. On comprend vite qu’on a affaire à de sombres questions existentielles.
Le metteur en scène ne parvient pas à accepter son retard à l’hôpital lorsque sa mère a eu un accident ; lorsqu’il arrive, il la trouve morte. L’enchaînement des circonstances – la succession, la rencontre avec son père – fait découvrir à notre héros une partie de la vie de sa génitrice dont il ignorait tout. Il prend plaisir à mener l’enquête, à faire la connaissance de son demi-frère Edouard, de sa belle-mère.
Wajdi Mouawad renoue avec les grandes fresques dramatico-familiales qui ont fait son succès (on pense notamment à Incendies) et dans lesquelles il excelle. Il présente un diptyque ambitieux, puisque la seconde partie nous fait plonger dans le monde de Lazare, son fils spationaute, de caractère apparemment lisse : nous découvrons le côté sombre de la vie de sa sœur, Eve, auteure d’une tentative de meurtre, réinsérée puis disparue.
Nous y découvrons un personnage négatif, une paumée, symétrique du demi-frère, qui disent sans doute beaucoup de l’humanité, beaucoup plus que les personnes au comportement rationnel et intelligible.
On assiste à des montages scéniques d’envergure : les éléments de décor sont sans cesse recomposés par les comédiens et les techniciens. La scénographie est rapide et efficace. Les dialogues sont riches, bien nourris par une ironie noire qui parvient à faire rire le public des événements les plus dramatiques. L’ambition de la mise en scène est de nous faire parcourir un espace intérieur, ses accommodements, ses redondances compulsives.
Un spectacle d’une grande élaboration, cherchant à montrer les atermoiements de nos intentions, le reniement ou le ressassement des événements.
On voit des drames s’inscrire, c’est-à-dire s’incruster dans notre mémoire. Un grand scénario, en chausse-trappes, ne cesse de nous faire découvrir de nouvelles clés d’interprétation ; de la contemporanéité, nous remontons trois générations jusqu’à être replongés dans les affres de la fin de la seconde guerre mondiale. La représentation prend des allures de grande tragédie contemporaine. Une troupe vive, riche de personnalités qui tiennent à perfection leur rôle.
N’était la dernière scène, scène de trop, dans laquelle l’écriture de Mouawad se fait mièvre à force de chercher à dire l’espoir, tout concourt à faire de ce spectacle une parfaite réussite, une création ambitieuse qui se donne les moyens de son succès.
christophe giolito
Fauves
texte et mise en scène Wajdi Mouawad
© Alain Willaume/
avec Ralph Amoussou, Lubna Azabal, Jade Fortineau, Hugues Frenette, Julie Julien, Reina Kakudate, Jérôme Kircher, Norah Krief, Maxime Le Gac‑Olanié, Gilles Renaud, Yuriy Zavalnyouk.
Assistanat à la mise en scène Valérie Nègre ; dramaturgie Charlotte Farcet ; conseil artistique François Ismert ; musique originale Paweł Mykietyn ; scénographie Emmanuel Clolus assisté de Sophie Leroux ; lumières Elsa Revol ; son Michel Maurer assisté de Sylvère Caton ; costumes Emmanuelle Thomas assistée d’Isabelle Flosi ; maquillage, coiffure Cécile Kretschmar ; suivi du texte Élisa Seigneur-Guerrini ; traductions japonaisShintaro Fujii anglais Ralph Amoussou ; kalaallisut / groenlandais Pierre Auzias, Annie Kerouedan ; voix Estrella Drouet-Egede, Hugues Frenette, Michel Maurer, Louise Turcot ;chorégraphie combats Samuel Kefi Abrikh ; coach boxe Guillaume Hauet ; interprète polonais Maciej Krysz.
Les accessoires, costumes et décors ont été réalisés dans les ateliers de La Colline.
La colline Théâtre national 15, rue Malte-Brun – 75020 Paris
du 9 mai au 21 juin 2019 au Grand Théâtre
du mardi au samedi à 19h30, le dimanche à 15h
création • durée : 4h entracte inclus
Je crois que vous avez fait quelques erreurs dans les prénoms des personnages…(le fils et le demi-frère). Est-ce voulu ?
Merci pour votre remarque.
Non, ce n’est pas voulu. C’est une erreur de ma part.
Le fils s’appelle Lazare. Ce sera corrigé.
Mais je ne me souviens plus du prénom
du demi-frère. Est-ce Romain ?
Bien à vous
ChG