Chez Laurine Rousselet, l’écrit ne suffit pas à contenir le signe. Il n’est que le germe qui produira l’ensemble de son oeuvre à besoin de la voix et du corps d’où il sort. Ruine Balance devient une expérience physique. Ce “crire” lance un pont entre l’intériorité et le monde. Il crée une dynamique que la poétesse aime doubler parfois de manifestations chorégraphiques ou performatrices.
Ici, le discours, devenant sonore ou plastique, permet à la gestuelle de l’écriture de se poursuivre. Si bien que, de manière comparable à ce que Michaux écrivait dans La nuit remue, ici la “ruine” — mais pas n’importe laquelle - bouge. Elle devient le motif de l’invariation et de l’incantation. Le Verbe se fait chair riche et produit son envol.
Et c’est un mystère qui, ici, ne s’affronte pas en une banale figuration mais face aux mots capables de créer le sentiment de la chair. Dès lors, ce qui pourrait demeurer le reste du “Reste” ouvre à un corps “pensé par vibrations. Il s’oppose au corps objet. Et c’est soudain la possibilité de l’altérité qui se pose et aussi la possibilité d’une parole sensorielle capable de relayer perceptions, sensations et émotions.
L’expérience du corps devient essentielle. Elle conduit à envisager la poésie comme la caisse de résonance d’une phénoménologie. Le poème manifeste radieusement l’irréductible solitude et l’absolue singularité du corps, de sa présence entre rivages et immersions là où la solitude devient franchissable.
Tout ramène à la nuit mais la poétesse — déjà auteure de grands textes, Tambour (Dumerchez), Journal de l’Attente, Nuit témoin (I. Sauvage) — l’organise pour tenir dans le noir et dans la vie afin que celle-ci ne se voit plus seulement du point de préexistence d’un regard amoureux mais qu’elle se saisisse de partout.
La matière même du poème n’est plus concept mais tatouage de l’indicible dans des moments où la lumière des mots change le monde, le fait flotter entre ciel et Terre, entre rêve profond et élucidation de ce rêve.
jean-paul gavard-perret
Laurine Rousselet, Ruine Balance, Editions Isabelle Sauvage, Plouméour-Ménez, 2019, 128 p.
Le tatoueur de l’indicible diffuse délicatement sa poésie.