Mathilde Bonazzi, Mythologies d’un style. Les Editions de Minuit

Exem­pla­rité et snobisme

N’appar­te­nant pas au pre­mier cercle des pontes uni­ver­si­taires des études de lit­té­ra­tures contem­po­raines qui règnent en maîtres sur l’ “objet”, Mathilde Bonazzi n’en reste pas moins une let­trée plus qu’impertinente. S’attachant à déco­der ce que cache dans la durée la mytho­lo­gie des Edi­tions de Minuit,  elle démonte une cer­taine mono­ma­nie qui entoure la mai­son d’éditions que Jérôme Lin­don racheta pour en faire un des fers de lance du roman d’avant-garde et un des élé­ments por­teurs de la “french –theory”.
Math­lide Bonazzi pos­sède l’intelligence de ne pas jeter tous les bébés de Lin­don (et suc­ces­seurs) avec l’eau de leurs bains. De manière claire et sans le moindre jar­gon elle prouve que, 7 rue Ber­nard Palissy, il n’y a pas plus aujourd-hui qu’hier d’ “école du regard” et que l’intitulé “nou­veau roman” ras­sem­blait des auteurs disparates.

On le savait déjà mais la spé­cia­liste va plus loin. Elle prouve que non seule­ment le dis­pa­rité fai­sait force de loi mais que la qua­lité n’était pas tou­jours au rendez-vous. Sans faire la liste des auteurs morts-nés après un seul livre publié chez Minuit, elle montre que “la ligne de lec­ture” qu’instaura Lin­don induit ce qu’elle appelle “la gla­cia­tion d’un clas­se­ment trop figé”. Sur le plan sty­lis­tique comme thé­ma­tique, il y eut de beaux écarts entre Beckett, Simon, Robe-Grillet ou Ricar­dou hier comme entre Mau­vi­gnier, Che­villard, N’Daye aujourd’hui.
Enri­chie d’une der­nière par­tie consa­crée aux entre­tiens de la cher­cheuse avec trois pou­lains de Minuit, ce livre montre la diver­sité de qua­lité et aussi d’esthétique entre les auteurs au fil des décen­nies et des affi­ni­tés de Lin­don et sa suite.

Réser­vant un sort par­ti­cu­lier à Monique Wit­tig et à Beckett — Mathilde Bonazzi envi­sage celui-ci de manière cava­lière et c’est le seul reproche que nous pou­vons accor­der à son livre -, l’auteure offre bien des ouver­tures dont cer­tains auteurs qui se seraient voulu les élus d’une telle mai­son n’ont pas com­pris.
Il ne s’agit pas en effet d’écrire à la suite de Duras, Beckett et des autres. C’est “écrire la suite” dit-elle. Ce qui est bien dif­fé­rent. En 2018 Mau­vi­gnier avec Conti­nuer et Pau­line Delabroy-Allard avec ça raconte Sarah l’ont prouvé en ins­tau­rant un nou­veau leurre dans le leurre, un nou­veau “genre” dans le roman. Il n’est pas écran de ce qui fut mais écart par rap­port à ce qui existe.

Et c’est lorsque la lit­té­ra­ture dépasse ce seuil, qu’existe — comme le fit l’écriture “ano­rexique” de Beckett fort éloi­gnée de “l’exigence des snobs” — ce qui ne se pense pas encore, loin de ce qui bloque et para­lyse.
La remise est donc tou­jours de mise.

jean-paul gavard-perret

Mathilde Bonazzi, Mytho­lo­gies d’un style. Les Edi­tions de Minuit, La Bacon­nière, Nou­velle col­lec­tion lan­gage, Genève, 2019, 216 p. — 20,00 €, 23,00 CHF.

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