Marc Pierret, Mademoiselle Lévy

Mourir pour se rap­pe­ler son avenir

L’auteur, avant de nous entraî­ner dans ses laby­rinthes, nous pré­vient dans sa pré­face : “Vous avez tout à fait rai­son de dou­ter de l’intérêt des pages qui vont suivre, puisque, che­min fai­sant, c’est le mys­tère de cette rup­ture radi­cale entre Moret et Mau­ret que je vais ten­ter d’éclaircir”. Le pro­pos pour­rait sem­bler mince puisque tout est his­toire de noms donc de mots. Mais n’est-ce pas là plon­ger au coeur de la lit­té­ra­ture ?
Et le lec­teur se laisse prendre à cette quête au titre “impar­fait” puisque, d’une cer­taine façon, Made­moi­selle Lévy n’est que l’accessoire et le désir d’une déchi­rure. Tout cela sans le savoir, à son corps défen­dant, même si elle indique à sa façon qu’il n’est pas d’amour heu­reux et le tout en han­tant les salles de cinéma lilloises.

Le nar­ra­teur du livre plonge dans une recherche iden­ti­taire où le double fait le jeu du un en nous racon­tant “Une sai­son à l’envers”, livre pivot du trans­fuge de Moret en Mau­ret sans en citer la moindre ligne.  Le scrip­teur va ren­con­trer l’auteur devenu célèbre et en remon­ter l’histoire et ses inco­hé­rences notoires qui filent entre les doigts de la fic­tion, du réel et de leur nar­ra­tion.
L’ensemble reste néan­moins non sans mys­tère et c’est peu dire même si le nar­ra­teur remonte, en “bio­graphe” atten­tif à  la vie de son héros (comme la sienne propre), une exis­tence  là où se mêlent les années d’occupation, la guerre de Corée, les sémi­naires de Lacan (entre autres).

Tout est construit de manière à prou­ver que l’illusion d’une “belle” vie sépare par­fois de la vie elle-même. Mais c’est ainsi que se coursent les rêves toute une vie durant comme un chien atta­ché à un cha­riot par une chaîne trop courte et que le narrateur/auteur tente de ral­lon­ger. C’est aussi d’une cer­taine manière mou­rir pour se rap­pe­ler son ave­nir.
Il se peut en effet qu’avec la trans­for­ma­tion du nom, l’âme se trans­forme comme une rivière le fait en quit­tant son lit d’origine. A la dis­sec­tion du coeur, Pier­ret pré­fère judi­cieu­se­ment celle des faits. Ce qui est plus pro­bant là où une vie morte opte pour une autre qui semble plus vivante et appelle à son ave­nir par effet de transplantation.

Mais cela ne se fait pas sans mal pour le héros comme pour le nar­ra­teur. “C’est à n’y rien com­prendre me dire vous. J’avoue que je me sens moi-même un peu perdu”. Néan­moins, cela suit son cours au sein même d’imprécisions qui font le piment de la nar­ra­tion, de la vie et du livre. En ce sens, Made­moi­selle Lévy entraîne par sa conver­sa­tion une conver­sion que l’auteur ana­lyse avec la verve d’une écri­ture ali­men­tée d’une culture aussi iro­nique qu’encyclopédique.
Entre autres sous le signe du cinéma et non seule­ment celui des séances lil­loises. Il  passe de “Alle­magne année zéro” jusqu’à Darry Cowl. C’est dire un tel périple.

jean-paul gavard-perret

Marc Pier­ret, Made­moi­selle Lévy, éditions Tin­bad, coll. Tin­bad roman, Paris, 2019, 168 p. — 18,00 €. Paru­tion le 26 mars.

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