Gabriel Henry propose une traversée de l’existence : l’enfance n’est pas encore très loin mais les fièvres peuvent être déjà adultérines. Pour autant, l’auteur reste proche des rêves les plus simples même si les désillusions guettent. Mais ce n’est pas parce que l’on n’est pas partout heureux qu’on ne l’est nulle part.
Et Gabriel Henry espère des baux qui permettent des constructions. Il sait que nul ne commence à aimer avant d’être humilié mais peu importe sans doute. Et si “des portes se ferment sans bruit”, d’autres s’ouvrent.
Plutôt que de battre trop vite en retraite, le poète pratique la marche à pied et la traversée des fleuves. Il n’entre pas dans sa coquille et se laisse atteindre à tout moment par ce qui arrive. Au besoin, il préfère en faire trop que ne rien faire du tout. Il sait aussi prendre les choses avec la distance nécessaire pour chercher un sens à la vie qui ne soit pas que giratoire.
Refusant les contraintes forcés, il fait avec celles qu’on ne peut esquiver. Et même dans “les nuits où le pied s’enfonce”, il est bon d’espérer qu’il ressurgisse au clair de lune.
Bref, il faut battre la campagne plutôt que de quitter la ville.
jean-paul gavard-perret
Gabriel Henry, Chair-Ville, Atelier de l’Agneau, coll. “25”, 2019, 86 p. — 15,00 €.
Je suis entrée d’un trait dans ce recueil. Gabriel Henry nous emmène dans sa traversée ; nous vivons avec lui l’expérience de la dépossession, de la perte, de la rétention, toujours couplée à celle du dépôt, de l’empreinte. On trouve là un souffle de nature pathétique, mais qui se dit sans pathos. L’auteur cultive la surprise, la chute, l’instant décisif de la rencontre, qui tremblent, palpitent, et font basculer l’amont. On est ébranlés, remués, on adhère intimement et collectivement aux constats dressés ; on se sent et on se voit épouser ce regard souvent désabusé, mais si sensible, si investi dans l’état de veille. La langue est inédite, suggestive, riche d’images improbables, qui restent en mémoire. C’est, assurément, une oeuvre et un monde à découvrir, qui méritent un temps d’appropriation. Un jalon pour étayer le cheminement personnel, ou le mener ailleurs ; l’inciter à reposer dans les creux.