S.L. Grey, Visions

Quand la réa­lité dérape…

Les auteurs qui se dis­si­mulent sous ce pseu­do­nyme prennent comme point de départ de ce thril­ler psy­cho­lo­gique un couple fra­gi­lisé qui se retrouve dans une situa­tion désta­bi­li­sante. Mark, spé­cia­liste en lit­té­ra­ture vic­to­rienne, a été licen­cié de l’université du Cap et s’est retrouvé sur un cam­pus moins pres­ti­gieux, avec une rému­né­ra­tion moindre. Sa pre­mière épouse, atteinte d’un can­cer, est par­tie et sa fille de sept ans, Zoé, est morte. Steph est atta­chée fusion­ne­ment à sa fille. Elle n’a pas d’emploi rému­néré, écrit des récits pour enfants, mais sans être édi­tée pour l’instant.
Ils se retrouvent à Paris où une femme n’arrête pas de les trou­bler et com­pli­quera sin­gu­liè­re­ment leur situa­tion déjà incon­for­table. Avec ces élé­ments consti­tu­tifs de base les auteurs ajoutent une part de fan­tas­tique intro­dui­sant des visions, des fan­tômes, des évé­ne­ments de la vie anté­rieure de leurs héros qui viennent trou­bler le pré­sent. Peu à peu, les roman­ciers ins­til­lent dans leur intrigue des détails trou­blants, déran­geants, subjectifs…

Mark et Steph ont été trau­ma­ti­sés par l’irruption, dans leur mai­son, de trois indi­vi­dus mas­qués et mena­çants, venant cam­brio­ler. Même s’ils ont fait ins­tal­ler des pro­tec­tions, tout bruit réveille des mau­vais sou­ve­nirs et ins­talle l’angoisse. Ce soir, ils dînent avec Carla et Damon, son gigolo qui a bien vingt-cinq ans de moins qu’elle. Mark oublie qu’il en vingt-trois de plus que Steph. Ils ont, ensemble, une petite fille de deux ans, Hay­den.
C’est Carla qui la pre­mière évoque l’idée d’une esca­pade pour le couple, pour qu’ils se remettent de leur trau­ma­tisme. Finan­ciè­re­ment, cela pose pro­blème car Mark a dû chan­ger d’emploi et gagne beau­coup moins. Damon sug­gère l’échange de domi­ciles. Il l’a fait l’an der­nier et c’est éco­no­mique. L’idée fait son che­min et Steph trouve, sur Inter­net, un échange avec un couple de Pari­siens. Mark, très réti­cent, se laisse convaincre à condi­tion qu’ils ne partent que tous les deux, confiant leur fille aux grands-parents mater­nels. À Paris, ils ont bien du mal à trou­ver l’immeuble et l’appartement. Celui-ci est infâme, une véri­table bauge. Ils ne veulent pas s’avouer vain­cus mais des pro­blèmes de carte ban­caire empêchent toute autre solu­tion.
Une énig­ma­tique voi­sine, la seule habi­tante de cet immeuble insa­lubre, n’arrête pas de leur dire : “Il n’y a rien de bon ici… Vous ne devriez pas être ici… Ici, ce n’est pas pour vivre…” Ils vont de sur­prises en sur­prises, toutes plus mau­vaises les unes que les autres…

Avec ce fonds fan­tas­tique les auteurs ins­til­lent un récit sur le fil du rasoir, une expres­sion évo­luant entre rai­son et folie, entre réa­lité et fan­tasmes. Le poids du passé n’est pas oublié et pèse tou­jours très fort, des actes heurtent une pos­sible séré­nité. Grey retient la forme nar­ra­tive inté­res­sante de l’alternance, à chaque cha­pitre, des deux prin­ci­paux pro­ta­go­nistes du drame, cha­cun expo­sant son point de vue avec son propre juge­ment, avec sa propre vision des évé­ne­ments, à l’aune de sa sen­si­bi­lité, de ses émo­tions. On passe ainsi de la vision et de l’analyse fémi­nines à celles mas­cu­lines, pas­sant de Steph à Mark.
Une large part de l’intrigue se déroule à Paris, dans un cadre fri­sant l’escroquerie. Faut-il y voir un res­sen­ti­ment envers les habi­tants de cette ville qui fait rêver mais où la réa­lité n’est pas tou­jours très propre ?

Avec Visions, tra­duit de l’anglais par Michel Pagel, ce roman­cier qui sait si bien navi­guer dans le fan­tas­tique, le lec­teur entre dans une intrigue retorse où il aura bien du mal à cer­ner la vérité avant une remar­quable conclusion.

serge per­raud

S.L. Grey, Visions (The Apart­ment), tra­duit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Michel Pagel, fleuve noir, novembre 2018, 336 p. – 19,90 €.

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Filed under Pôle noir / Thriller

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