Paru aux éditions Aléas en 2006 et épuisé depuis, Le cinéma de Woody Allen est un ouvrage dense qui traverse en quelques 350 pages la totalité des films du prolifique réalisateur new-yorkais aux légendaires lunettes jusqu’à l’année 2018 (exception faite des cinq premiers – Prends l’oseille et tire-toi (1969), Bananas (1971), Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe… (1972), Woody et les robots (1973) et Guerre et amour (1975) – qualifiés de « brouillons » et qui ne sont pas intégrés à la lecture de Yannick Rolandeau pour cette raison).
Enseignant, scénariste et cinéaste (réalisateur de courts-métrages), l’auteur, à qui l’on doit La mise en scène au cinéma (Aléas), Quentin Tarantino ou le crépuscule de l’image et Nouvelle Vague, essai critique d’un mythe cinématographique (L’Harmattan, 2018) met donc ses pas dans ceux du Père et s’efforce avec grande efficacité, à l’appui des nombreuses scènes et des multiples dialogues scrutés, de rendre compte des tenants et aboutissants de la démarche du sieur Woody, apôtre jazzy devant l‘éternel.
Imprégné jusqu’au moindre détail des gimmicks de l’Homo allenus, Rolandeau, foin de sectarisme théorique, travaille à la fois sur l’esthétique de la filmographie du cinéaste et aussi sur les « thèmes existentiels » qui en constituent sans conteste la clef de voûte objective : l’identité, le mimétisme, le dédoublement, la famille, la religion la psychanalyse, l’art, le mal, la mort (liste non exhaustive).
La rigueur de l’analyse des séquences précises, souvent croisée entre les films et les personnages, permet bel et bien de mettre au jour les illusions qu’entretient – avec une obstination certaine confinant à un rare masochisme – l’être humain sur lui-même, sur autrui et sur le monde qui l’entoure.
Dans l’esprit comme dans le rendu, on est là bien loin du piètre Woody Allen — Profession : cynique d’Ava Cahen qui ne faisait que survoler l’oeuvre et tous les amateurs des longs-métrages si particuliers et raffinés de Wooy Allen ne pourront que trouver en ces pages des commentaires, aussi justifiés qu’éclairants, sur le work in progress névrotique de celui qui, aujourd’hui, défraie plus la chronique, las, pour ses déboires sexuels et familiaux que pour son talent dans le Septième art.
Il est regrettable alors que le (non-)travail éditorial accompli sur cette réédition laisse sceptique sinon pantois : manifestement, personne chez L’Harmattan n’a relu ce texte constellé de coquilles et de fautes d’expressions (voir l’usage déplacé et récurrent souvent de la préposition « de » au milieu des longues phrases et qui n’est pas « raccord » avec les éléments de syntaxe initiaux) et nul n’a eu l’idée – tandis que c’était bien là à tout le moins nécessaire – de détailler davantage la table des matières afin de proposer un thésaurus des films cités en relation avec les entrées soumises.
Impossible donc pour le curieux ou le connaisseur de se rendre directement, par exemple à l’analyse du film Zélig (1983) en consultant l’index alors qu’il aurait été informatiquement si simple d’indiquer le titre de ce film sous l’item « le mimétisme » abordé à partir de la page 94. Idem pour La rose pourpre du Caire (1985) p. 121 sous la catégorie “Le réel et son double” etc. Cela aurait tout de même été beaucoup plus utile au lecteur que la filmographie d’une dizaine de pages mise en place à partir de la page 369…
Resteront donc au lecteur la patience et le plaisir de dénicher lui-même des pépites inattendues au fil de l’ouvrage ou de revisiter les classiques alleniens que rappelle avec délectation Rolandeau à ceux qui auraient peut-être déjà oublié, pour les tristes raisons évoquées plus haut, que l’on parle là d’un des plus grands cinéastes du XXe siècle.
frederic grolleau
Yannick Rolandeau, Le cinéma de Woody Allen, L’Harmattan, 2 novembre 2018, 392 p. – 30, 00 €.