Que faut-il à la littérature ? Une ouverture, une ouverture qui inscrit de la dissemblance. Max Fullenbaum ne s’en prive pas. Il ne joue pas les éclusiers qui mettent les mots au niveau de la berge de lisibilité. Ses seuils ici sont dépassés et certains lecteurs peuvent l’être tout autant. Mais dans les crissements phrastiques peut s’éprouver un plaisir particulier où les coupures ne sont pas des blessures — même si le monde comme le livre en ses divers temps ne cicatrise rien, quelles que soient les périodes de guerres et de massacres des innocents.
Néanmoins, l’auteur nous lance son paradoxal “Champagne pour tout le monde !” Manière de mettre certaines poussières sous des tapis douteux mais tout autant de profiter de l’ état gazeux de cet type d’alcool afin de “frapper notre langue natale pour qu’elle étouffe”. Il est vrai que l’auteur est d’une certaine façon mal né ou plutôt pas à la bonne heure et la bonne place. Mais alors que Beckett quitte la langue maternelle pour ne laisser que “des hiatus entre la langue disparue”, l’auteur le f ait à partir de celui du mot “ju-if” : il en fait saillir un jus de vie même si son nom de famille fut à une certaine époque et comme il l’écrit “inflammable”…
Le texte est en ce sens impitoyable mais laisse place à une circulation inédite : à l’étoile imposée succèdent des foulards choisis sans que l’histoire fasse de grand pas en avant — sinon au bord de bien des gouffres. C’est vieux comme elle. Toutefois, Fullenbaum ne désespère pas. Du moins pas en totalité. Il embrasse même des phrases rimbaldiennes pour faire bon poids. Il n’empêche que l’arrivée des ordinateurs fait une nouvelle fois le jeu des barbares. Et entre la vie telle qu’elle fut ou telle que l’auteur la reconstruit, toute une charge souterraine suit son cours. Et le bilan n’est pas forcément satisfaisant.
Mais l’écrivain court toujours comme le héros d’un célèbre film américain. Plus même car Buster Keaton — le tragique plus que le — comique — lui aussi n’est pas loin. Reste tout un déplacement de la langue pour éviter des “concentrations” toujours possibles. Plus qu’un autre l’auteur sait où elles mènent. Le tout dans un creuset où — au besoin — lorsque les mots manquent il est toujours possible de trouver un “détecteur de vie antérieure”.
Qu’importe sa bakélite d’un autre temps s’il permet de conjurer l’idée que l’Apocalypse est pour demain. Reste à “Samuel” à trouver non seulement dans ce qu’il a lu mais désormais écrit de quoi rester un auteur du terroir des régions : de ceux qui osent chanter sur un tas de fumier.
Non pour jouer les coqs hardis mais parce qu’ils ont quelque chose à dire.
jean-paul gavard-perret
Max Fullenbaum, Textes à conquérir, Les éditions du Littéraire, Paris, 2018, non paginé - 13,00 €.
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