Mukoma Wa Ngugi, Là où meurent les rêves

Un pre­mier roman prometteur

L’ins­pec­teur Ish­mael, de Madi­son dans le Wis­con­sin, arrive à l’aéroport de Nai­robi au Kenya où il accueilli par Daniel Odhiambo que ses amis et ses enne­mis appellent O. Pour­quoi un poli­cier des USA vient-il enquê­ter dans un pays d’Afrique ? Le fait qu’il soit noir n’explique pas tout. C’est dans Maple Bluff, un petit para­dis fis­cal proche de Madi­son, que tout a com­mencé. Une jeune femme blonde est retrou­vée morte sur la véranda d’une villa occu­pée par Joshua, un noir pro­fes­seur à l’université. Celui-ci est une per­son­na­lité connue pour son action huma­ni­taire lors du géno­cide rwan­dais où il a contri­bué à sau­ver de nom­breuses vies. Mais son alibi, l’absence de liens entre lui et la vic­time, qui reste tota­le­ment incon­nue, bloquent l’enquête.
La popu­la­tion s’agite car la morte est une blanche. Les poli­tiques et la hié­rar­chie font pres­sion. Un appel télé­pho­nique ano­nyme conseille à l’enquêteur, pour décou­vrir la vérité qui se trouve dans le passé, d’aller à la source, à Nai­robi. Ish­mael, bien que noir, découvre l’Afrique, le pays de ses ancêtres. Mais il lui est aussi étran­ger que pour­rait l’être un Amé­ri­cain de souche et ses réac­tions sont contre­pro­duc­tives. Piloté par O, il se montre, se mani­feste, atten­dant le début de la piste pro­mise par son inter­lo­cu­teur ano­nyme. Mais les endroits qu’ils fré­quentent sont dan­ge­reux et Ish­mael doit faire coup de poing, le coup de feu pour res­ter en vie car, appa­rem­ment, il est devenu une cible…

Avec Ish­mael, l’auteur dépeint avec pré­ci­sion et jus­tesse le par­cours d’un homme qui se trouve par­tout en porte-à-faux. Noir dans un pays encore majo­ri­tai­re­ment blanc, il lui faut s’imposer, jouer des coudes face aux réti­cences et à une ambiance raciste. Noir dans le pays de ses ancêtres, il se trouve encore plus étran­ger et son adap­ta­tion est très dif­fi­cile dans la mesure où il a des réflexes d’américain du Nord.
L’intrigue est intel­li­gem­ment construite avec un lot consé­quent de rebon­dis­se­ments et de coups de théâtre. Elle trouve ses racines, comme le sug­gère le cor­res­pon­dant ano­nyme de l’inspecteur,  sur le conti­nent afri­cain. Le roman­cier appuie son récit sur ce ter­rible géno­cide rwan­dais qui fit tant de morts. Une gale­rie étof­fée de per­son­nages aux carac­tères étu­diés et fouillés met en musique cette intrigue astu­cieuse et rouée.

Par le biais de ses per­son­nages, l’auteur livre nombre de réflexions sur la société amé­ri­caine, sur le fonc­tion­ne­ment des com­mu­nau­tés, sur la nature des rap­ports de l’homme à son envi­ron­ne­ment. Il inter­roge sur le fonc­tion­ne­ment de la police et de la jus­tice quand il fait remar­quer qu’une affaire liée à la mort d’un noir est clas­sée d’office si elle n’est pas réso­lue très vite alors qu’elle n’est jamais close lorsque la vic­time est blanche et l’assassin noir.
Le roman­cier truffe son récit d’images par­lantes comme pour décrire un bidon­ville dans la ban­lieue de Nai­robi : “… une terre de souf­france, une tour de Babel inver­sée qui des­cen­dait jusqu’à l’enfer au lieu de s’élever vers les cieux. “. Mukoma Wa Ngugi glisse nombre de traits d’humour dans les dia­logues, dans des situa­tions incon­grues, avec un humour par­fois acide. Il pointe le besoin de finan­ce­ment des struc­tures de toutes natures, même si celles-ci, lors de leur fon­da­tion, affi­chaient un but bien huma­ni­taire. De nou­veaux diri­geants peuvent mettre en œuvre d’autres objec­tifs tout en prô­nant les mêmes valeurs…

Un roman au héros atta­chant, à l’intrigue pas­sion­nante dans un cadre qui relève presque du jour­na­lisme d’investigation. On ne peut que se réjouir de l’annonce de l’éditeur qui pré­sente Là où meurent les rêves comme le point de départ d’une série policière.

serge per­raud

Mukoma Wa Ngugi, Là où meurent les rêves (Nai­robi Heat), tra­duit de l’anglais (Kenya) par Benoîte Dau­vergne, édi­tions de l’aube, coll. “L’Aube noire”, avril 2018, 240 p. – 20,00 €.

 

1 Comment

Filed under Pôle noir / Thriller

One Response to Mukoma Wa Ngugi, Là où meurent les rêves

  1. Fab

    Voilà qui me plaît ! Ce doit être bien inté­res­sant ! A lire les com­men­taires j’aimerais me le pro­cu­rer en anglais. MEn­core pour cet article.

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