Denis Roche, La montée des circonstances

Trajec­toire

Denis Roche prouve que, plus que les mots (même s’il fut aussi poète), la pho­to­gra­phie est capable de faire par­ler le silence en noir et blanc. Le créa­teur se com­porte en véri­table com­po­si­teur de formes. Car, chez, lui l’image n’est jamais simple. Elle se dis­tri­bue en secondes et en tierces quel que soit son sujet : auto­por­traits, por­traits, nus, pay­sages, natures mortes. La dénu­da­tion est rare­ment fron­tale : elle passe par un baro­quisme des jeux de miroirs, la reprise inces­sante de l’expérimentation for­melle.
Le créa­teur affir­mait en 2002 : « L’écriture c’est le propre, le défi­ni­tif, la photo c’est le sale, l’approximatif ». Et il est vrai qu’il com­pi­lait des mil­liers de ses pho­tos plus ou moins ratées qu’il com­pul­sait et clas­sait même si « leur ratage est irrat­tra­pable ». Mais si une photo ratée ne peut ni se cor­ri­ger ni s’améliorer, remuer les néga­tifs, c’est remuer le temps, remuer la mort. Et il n’était pas ques­tion pour lui de se débar­ras­ser de tels déchets. « Ce serait aussi s’amputer d’une très grande par­tie du temps qui s’est déroulé dans cette acti­vité. J’aurais l’impression de détruire des pans entiers de ma propre vie ». D’autant que dans ce caphar­naüm il existe tou­jours des pho­tos à sau­ver. Ce livre et cette expo­si­tion le prouvent.

Plutôt que de cou­rir après le temps perdu, il s’agissait pour lui de rete­nir le « temps à l’état pur » cher à Proust même si, pour le poète des débuts comme pour le théo­ri­cien de « La dis­pa­ri­tion des lucioles », la pho­to­gra­phie en fixant un ins­tan­tané ren­voyait for­cé­ment au passé et au deuil. « Vou­loir rat­tra­per quelque chose c’est déses­péré, foutu d’avance, évi­dem­ment » disait la pho­to­graphe.
Roche garda néan­moins tou­jours en lui le goût pour la tra­jec­toire. Par ailleurs, et grâce à la pho­to­gra­phie, il a retrouvé ses racines : la pein­ture abs­traite et lyrique de Jack­son Pol­lock, Willem De Koo­ning, Yves Klein voire Pierre Sou­lages : « Quand j’ai com­mencé à créer, à écrire, je me sen­tais sur une tra­jec­toire équi­va­lente même si elle est moins visible en lit­té­ra­ture. En photo, je passe mon temps à recher­cher la même image, à la refaire dix ou vingt ans après. C’est une his­toire de tra­jec­toire » écrivait-il. D’une cer­taine manière, il n’a pas varié d’un pouce.

jean-paul gavard-perret

Denis Roche,

¤ La mon­tée des cir­cons­tances, Edi­tions Del­pire
¤ expo­si­tion à la gale­rie Folia à Paris du 5 avril au 2 juin 2018.

2 Comments

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2 Responses to Denis Roche, La montée des circonstances

  1. Pingback: La montée des circonstances – Axolotl-cahiers Denis Roche

  2. Bertrand Verdier

    Cet article est, entre autres, men­tionné sur le site consa­cré à Denis Roche : https://axolotl-denisroche.com/2018/03/29/la-montee-des-circonstances/

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