La problématique d’un tel livre tient dans un paradoxe : concentrer l’œil pendant un an et chaque matin sur « un distique de peu » et sa ponctuation de dessins eux aussi de peu et comme en disparition. L’identité disparaît si bien que le regardeur/lecteur, pour se repérer, tente de chercher des éléments habituellement centraux mais qui font défaut.
Dès lors, tout se porte sur un exercice de mémoire aussi collective que personnelle et une dimension extra-temporelle apparaît à travers des indices des dessins qui — quoique a priori marqueurs temporaires — laissent dans une certaine zone de latence. Le vide crée donc un plein « en creux » par effet d’empreinte plus que de présence. Les images suent l’oubli, les mots se cherchent car, le matin, « la langue encore ensommeillée / cherche consonnes et voyelles ». Preuve que le temps n’est donc pas absence ou nullité : ce qui s’efface possède un poids.
Les deux créateurs reprennent ainsi la problématique émise par Beckett dans Peintres de l’effacement : dans le portrait, ce qui compte n’est pas le visage mais ce que l’auteur nomme la « visagéité ». A savoir ce qui est derrière ou au-delà des apparences. L’effacement crée donc un sens qui s’oppose à toute nostalgie. En ce sens, Caroline et Michaël sont à leur manière néo-platoniciens. Ce qu’ils tentent n’est pas de l’ordre de la représentation mais du générique. La disparition est donc insécable de la trace.
A la figuration il faut préférer la figure. Quelque chose y perdure. Avant que tout ne disparaisse. Avec le temps.
jean-paul gavard-perret
Michaël Glück & Caroline François-Rubino, Sur l’aube d’un ciel taché d’encre, Propos2editions, 2018, 100 p. — 13,00 €.