Sous-titrées “variations autour d’un thème : au fil des barques et des saisons”, les encres permettent à Silvaine Arabo de revenir à ses fondamentaux picturaux qui se développent entre continuité et variation. L’artiste (et poète mais qui s’en remet ici aux mots des autres) revient à l’anse d’une mer du sud et : en premier plan et de dos, une femme et son enfant contemplent une frêle pirogue et ses quatre rameurs qui passent au loin.
Par le jeu de l’aquarelle et de l’encre, les variations ne portent pas uniquement sur les couleurs mais sur le lieu lui-même : s’agit-il d’une anse maritime ou d’un paysage céleste ? Par cette ambiguïté, le “réalisme” se transforme en un univers fabuleux mais sobre et aquatiquement aérien.
Silvaine Arabo opte pour la figuration onirique et quasi légendaire afin d’atteindre la musique des éthers pour donner une éternité à la langue plastique et atteindre une forme de métaphysique en court-circuitant l’abstraction qui rend les peintres “unijambistes” comme l’écrit Bazaine dans un texte cité en incipit par la créatrice.
Dans un tel univers, le rythme des saisons échappe à la succession classique afin de suggérer un temps pur. Seuls les poèmes de Sébastien Minaux et Léon Bragda suggèrent une sorte de scansions en un temps souple plus que fragmenté et qui semble ne concevoir ni arrêt ou terme.
Revenant aux couleurs douces qu’elle affection dans les tonalités de bleu, rose et vert, là encore les variations jouent à plein ponctuées du vol d’oiseaux esquissés au moment ou les deux silhouettes sur le rivage ne quittent pas des yeux l’esquif qui traverse, la mer, le ciel ou l’Achéron. Silvaine Arabo crée une nouvelle fois une visualité particulière qui arrache l’image à sa choséité. Elle ne s’adresse pas seulement à la curiosité du visible mais à son interrogation d’une scène unique qui suggère une absence ou un manque.
L’ensemble tient de l’épure et de la dilution qui rapporte à l’immanence de l’état de rêve éveillé. La matière à voir se transforme et devient l’évidence lumineuse mais décalée d’un lieu hypothétique jamais atteint, déserté, perdu ou imaginé et doté de la puissance des choses insues auxquelles l’artiste se refuse à donner une réponse univoque.
Nous sommes comme les six personnages de telles images en suspens devant ce qui nous dépasse au moment peut-être où de l’illusion subie nous sommes confrontés à l’illusion exhibée au sein d’une condition littorale en cette peinture en tant que lieu des extrêmes et des bords mer ou ciel qu’importe.
jean-paul gavard-perret
Silvaine Arabo, Encres II — 2014–2017, Editions Alcyone, Saintes, 2018 — 28,00 €.
Très bel article Jean-Paul, qui a perçu, je crois, l’essentiel de la démarche.
J’aime la façon dont tu évoques ce jeu des frontières entre les dimensions “intérieure” et “extérieure”…
Merci beaucoup !