Ludovic Degroote, La Digue

Ce qui suit son cours

C’est par la forme frag­men­tée de courts blocs, pans et bouts que ce livre tient. Il retient par la liai­son qu’il fait entre expé­rience du corps mar­chant dans un pay­sage  et l’expérience inté­rieure de la quête de soi. Les mots sont simples pour décrire une médi­ta­tion rare. La « digue » devient le seul pay­sage où un homme marche, comme un per­son­nage de Gia­co­metti, et pour se fati­guer lui-même. Nulle rêve­rie : le lieu est vide comme la vie qui cherche son sens. « L’œil s’use, les choses n’absorbent pas ».
Une fois atteinte l’extrémité d la digue, le par­cours se fait dans l’autre chose dans une quête d’une (pos­sible ?) cohé­rence glo­bale dont les frag­ments tentent de des­si­ner les contours comme Magali Latil (que publia Degroote) sait le sou­li­gner de l’à-peine de son œuvre plastique.

N’est lisible appa­rem­ment que la « des­crip­tion » de l’attente vaine dans un champ contre-champ entre l’espace du dehors et celui du dedans en un tra­jet très par­ti­cu­lier : « Pas de bout, pas aux choses, pas à soi, peut-être pour ça qu’on va sur la digue, on regarde la mer, les falaises, les vil­las, à la fin on revient, on attend de recom­men­cer, au milieu de la vie qui passe. / La digue ça ne mène nulle part, ça n’engage à rien, on regarde la mer, et puis on s’en va ». D’où la quin­tes­sence sta­tique du lieu et de l’écriture là où comme chez Beckett le pathos est presque absent parce que le lan­gage tient tout seul dans des « moments posés les uns près des autres (…) les pen­sées naissent et meurent, elles glissent sans qu’on soit tou­jours là, ou bien c’est nous qui glis­sons, à côté, ou bien non, ça se fait comme ça, en dérive. »
Reste l’incertitude de l’être. Il est au plus près de lui-même dans un état de déliai­son dont le consen­sus  — comme l’écrit Emaz — devient « une sorte d’unification néga­tive de l’être, par le vide ». Cette marche « absurde » et ver­ti­gi­neuse éli­mine bien des façons de voir, d’écrire, de racon­ter, de com­prendre et d’imaginer. Et ce, dans un paroxysme indé­pas­sable mais « blanc » où l’inexprimable se montre avec une totale évidence.

jean-paul gavard-perret

Ludo­vic Degroote, La Digue, édi­tions Unes, Réédi­tion, 1995 – 2017, Nice.

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