C’est par la forme fragmentée de courts blocs, pans et bouts que ce livre tient. Il retient par la liaison qu’il fait entre expérience du corps marchant dans un paysage et l’expérience intérieure de la quête de soi. Les mots sont simples pour décrire une méditation rare. La « digue » devient le seul paysage où un homme marche, comme un personnage de Giacometti, et pour se fatiguer lui-même. Nulle rêverie : le lieu est vide comme la vie qui cherche son sens. « L’œil s’use, les choses n’absorbent pas ».
Une fois atteinte l’extrémité d la digue, le parcours se fait dans l’autre chose dans une quête d’une (possible ?) cohérence globale dont les fragments tentent de dessiner les contours comme Magali Latil (que publia Degroote) sait le souligner de l’à-peine de son œuvre plastique.
N’est lisible apparemment que la « description » de l’attente vaine dans un champ contre-champ entre l’espace du dehors et celui du dedans en un trajet très particulier : « Pas de bout, pas aux choses, pas à soi, peut-être pour ça qu’on va sur la digue, on regarde la mer, les falaises, les villas, à la fin on revient, on attend de recommencer, au milieu de la vie qui passe. / La digue ça ne mène nulle part, ça n’engage à rien, on regarde la mer, et puis on s’en va ». D’où la quintessence statique du lieu et de l’écriture là où comme chez Beckett le pathos est presque absent parce que le langage tient tout seul dans des « moments posés les uns près des autres (…) les pensées naissent et meurent, elles glissent sans qu’on soit toujours là, ou bien c’est nous qui glissons, à côté, ou bien non, ça se fait comme ça, en dérive. »
Reste l’incertitude de l’être. Il est au plus près de lui-même dans un état de déliaison dont le consensus — comme l’écrit Emaz — devient « une sorte d’unification négative de l’être, par le vide ». Cette marche « absurde » et vertigineuse élimine bien des façons de voir, d’écrire, de raconter, de comprendre et d’imaginer. Et ce, dans un paroxysme indépassable mais « blanc » où l’inexprimable se montre avec une totale évidence.
jean-paul gavard-perret
Ludovic Degroote, La Digue, éditions Unes, Réédition, 1995 – 2017, Nice.