Warsan Shire est née en 1988 au Kenya de parents somaliens et a grandi en Grande-Bretagne. Son livre est d’une violence rare par l’éloquence qu’il engage en un mixage d’Afrique noire et de monde blanc. Il devient un témoignage radical. La poésie qui ne se contente pas de photographier ou de décrire. Tout passe par le chant. Il déclive les façons de penser Sous le monde voilé, les mots qui le fendent prennent des doubles sens. Et lorsque l’auteur écrit : “À ma fille je dirai / Quand viendront les hommes, tu t’incendieras », l’expression est volontairement équivoque. D’un côté la sensualité, de l’autre la mise en garde.
Nourris par les mots de la mère qui parla à sa fille, celle-ci répond ici en une sorte d’hommage pour témoigner de mondes pourris offerts par fragments à vif. Les femmes sont magnifiques en de superbes atours mais leurs corps certes aimés sont souvent malmenés quelles que soient les cultures: « Mon père était un ivrogne. Il a épousé ma mère / le mois qui a suivi son retour de Russie / du whisky plein les veines. / Pendant leur nuit de noce, il a chuchoté / à son oreille des histoires d’avions de chasse et de neige. (…) Plus tard, pantelant, la tête posée /sur ses cuisses il l’a touchée, / en a ressorti deux doigts luisants,/ et lui a faire voir ce qui en son propre corps /de la couleur neige se rapprochait le plus. » L’hospitalité des femmes est toujours grande. Elles frottent et froissent joie et douleur ensemble, la vie familiale est violente. Les coups pleuvent
L’auteure reste pleine de vie et de sang. Les femmes sont des bateaux ivres, ouvertes aux addicts du tout-venant puis laissées pour compte dès que leur date de consommation se périme De plus, la guerre n’est jamais loi avec son lot d’exil. Tout est brassé en des invocations lyriques. Et si l’Afrique est vue sans fard, notre monde hypocrite est dégagé de sa myopie confortable : « Je les entends dire rentre chez toi, je les entends dire putains de migrants, putain de réfugiés. Sont-ils vraiment si arrogants ? Ne savent-ils pas que la stabilité est pareille à cet amant à la bouche pleine de douceur se coulant sur ton corps un instant ; et l’instant d’après lui gisant sous les décombres, toi attendant son retour. »
Warsan Shire écrit pour lutter contre l’apathie non pour réclamer la pitié. Elle appelle à la révolte et la lucidité. Car si la gueule des loups change de couleur, leur prédation demeure constante. Si bien que “l’exilée de sa peau” — dont le visage de nostalgie souligne le feu qui l’anime entre celui des canons et celui de l’homme entre ses jambes — rappelle que “Les chambres dans cet hôtel sont torrides. / La nuit dernière au lit je t’assure /mon corps était en feu”. Mais elle suggère, comme sa mère le fit, que la brûlure n’est pas toujours ce qu’on en attend ou en dit.
jean-paul gavard-perret
Warsan Shire, Où j’apprends à ma mère à donner naissance, traduit de l’anglais par Sika Fakambi, Editions Isabelle Sauvage, 2017, 44 p. — 16,00 €.
Touchée par cette magnifique chronique .