Celle qui attend un ticket pour aller nager avec des dauphins : entretien avec l’artiste Marion Bataillard (CRÉATURES / Solo Show)

Marie Klock écrit à pro­pos de l’artiste : « Je suis accrou­pie à ses pieds. Je la regarde peindre. Elle me regarde. C’est moi qu’elle peint. Qui a com­mencé à regar­der qui ? La pein­ture de Marion Bataillard invite à s’amuser avec elle ». Un tel jeu est sans doute plai­sant mais plus encore pro­fond et trouble. L’artiste peint son modèle avec des seins de louve et un regard fas­ci­nant. La situa­tion très vite se trans­forme en sym­bole. Jaillit par la pein­ture une conscience des sen­sa­tions éprou­vées par un corps. Mais il faut toute la tech­nique de Marion Bataillard pour le rendre plei­ne­ment pré­sent. Il est comme senti de l’intérieur.
Si bien que la pein­ture devient le fon­de­ment d’une nou­velle sub­jec­ti­vité avec le dévoi­le­ment d’un cer­tain dio­ny­siaque. Le voile de l’illusion est déchiré pour accé­der au vrai. Les êtes deviennent des être ludiques et sen­tants. Ils nous échappent peut-être en tant que sujets ration­nels, mais il convient de faire des expé­riences d’un tel jeu pour les voir émer­ger non tels qu’ils sont mais tels qu’ils deviennent.

Marion Bataillard,  CRÉATURES / Solo Show, Gale­rie ALB, 47 rue Cha­pon, 75003 Paris, du 14 octobre — 28 novembre 2017

 Entretien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le désir de vivre ou l’appel du devoir. J’adore le petit matin. J’adore les périodes où je par­viens à me lever très tôt.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
L’expression « rêve d’enfant » ne cor­res­pond à rien pour moi. Ma mémoire me trompe peut-être, mais je n’ai pas le sou­ve­nir d’avoir eu de rêves pros­pec­tifs lorsque j’étais enfant. Les rêves sont venus me tor­tu­rer plus tard. J’ai un rap­port ambi­va­lent à la notion de rêve. D’un côté, je dois bien admettre que je suis for­te­ment encline à la rêve­rie, appe­lée par un ailleurs idéal. Et puis c’est notre désir qui anime les choses et les situa­tions ; le rêve est une sorte de moteur. Mais d’un autre côté, je m’en méfie comme d’un leurre. Je tiens au réel, je veux res­ter dans le monde tan­gible, je tiens à aimer le réel comme il va, et à l’accompagner.

A quoi avez-vous renoncé ?
À rien. C’est-à-dire que pour par­ler au sens fort de renon­ce­ment, il fau­drait que ce soit un renon­ce­ment à quelque chose à quoi j’aurais pro­fon­dé­ment aspiré. Or, ce que je désire vrai­ment, soit je l’ai obtenu, soit je cours tou­jours après. Et ce à quoi je renonce, c’est que je n’y tenais pas tant — il ne s’agit donc pas, au sens fort, d’un renoncement.

D’où venez-vous ?
Enfant, nous démé­na­gions sou­vent. La plus belle mai­son, c’était une mai­son ancienne de 300 ans, pleine de pas­sages secrets, d’escaliers tor­dus et de pièces dans les pièces. Elle était entou­rée d’une forêt, de champs de blés et d’herbes hautes. Il y avait une rivière non loin, et un chien avec une cloche au cou. Mais nous n’y avons habité qu’une année. La plu­part du temps, j’ai habité enfant dans des endroits qui n’étaient ni vrai­ment de la ville, ni vrai­ment de la cam­pagne – tou­jours en France.

Qu’avez-vous reçu en « héri­tage » ?
Mon nom de famille, Bataillard. Le sens du bri­co­lage et de la débrouille. Un amour qui res­semble à de la foi. Mais, je ne peux pas tout dire ici.

Qu’avez vous dû aban­don­ner pour votre tra­vail ?
Les pro­me­nades aussi sou­vent que je le vou­drais, côtoyer ceux que j’aime aussi aussi assi­dû­ment que je le vou­drais, le cinéma, le ski, le jar­di­nage, pro­duire ma propre nour­ri­ture, aller faire mes courses à che­val, sillon­ner la France, apprendre le russe, m’occuper acti­ve­ment de poli­tique. Mais je ne renonce à rien de tout cela. Je me dis seule­ment que ça vien­dra plus tard.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Sor­tir de l’atelier. Aller au marché.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres artistes ?
Non vrai­ment, je ne vois pas com­ment répondre à cela. Je suis dif­fé­rente en ceci ou en cela d’untel ou d’unetelle, mais on me trou­vera tou­jours des carac­té­ris­tiques com­munes avec d’autres. C’est que, voyez-vous, j’appartiens à l’humanité.

Com­ment défi­ni­riez vous votre approche du corps ?
Nous sommes des mam­mi­fères. Mais aussi : notre corps est un mini-monde, qui reçoit/conçoit en lui l’image du monde entier. Et encore : notre corps est le ter­ri­toire natu­rel du Moi.

Quelle fut l’image pre­mière qui esthé­ti­que­ment vous inter­pella ?
Le sein de ma mère, pro­ba­ble­ment !
La jeune fille et la mort, 140x100cm, huile sur bois, 2017

Et votre pre­mière lec­ture ?
Bar­ja­vel ? Non : « Le Sei­gneur des anneaux » de Tol­kien, fût ma pre­mière grosse lecture.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Bri­gitte Fon­taine, Vla­di­mir Vis­sotski, Tom Waits, Nico, The Knife, Mozart, Nina Simone, Bar­bara, Léo Ferré. Mais je n’écoute pas sou­vent de la musique.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
Je relis sou­vent « La pesan­teur et la grâce » de Simone Weil. Ça décrasse.

Quel film vous fait pleu­rer ?
Tous. Le cinéma m’absorbe faci­le­ment. C’est que je n’ai pas l’habitude de regar­der beau­coup de films.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Une fille que j’ai envie de peindre.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Je ne sais plus. J’imagine qu’il m’est arrivé de ne pas écrire à des amou­reux ima­gi­naires, dans ma prime jeunesse.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
La Sibé­rie. J’ai sou­vent été ten­tée par un exil radi­cal, une vie sau­vage en milieu aride. J’ai rêvé d’appartenir aux pre­miers hommes d’une société bal­bu­tiante, et de savoir sur­vivre avec peu de moyens. C’est mon désir de peindre et d’être peintre qui m’ancre dans la société à laquelle j’appartiens de facto. Ce qui, d’ailleurs, est un para­doxe, car la pra­tique de la pein­ture est aussi une forme d’exil.

Quels sont les écri­vains et artistes dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Fass­bin­der, Paso­lini, Tarkovski.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Une mini camion­nette tri­cycle chi­noise. Non mieux : un ticket pour aller nager avec des dauphins.

Que défendez-vous ?
Je me défends.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas” ?
C’est inté­res­sant, mais un peu restreint.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Oui.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Vous ne m’avez pas demandé si j’aimais danser.

Entre­tien et pré­sen­ta­tion réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 7 octobre 2017.

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