Une « tombe creusée dans l’air »
Nulle question de limiter l’œuvre de Sylvie E. Saliceti à la description ou à l’évocation de lieux qui lui sont chers. Certes, ils le demeurent mais de fait le réel aimé n’est qu’un palimpseste. Il fait office d’élément déclencheur à la sensibilité de la créatrice. Celle-ci déstructure juste ce qu’il faut les paysages pour leur recréation afin de fomenter des épousailles moins géographiques.
A l’aide d’une technique parfaite aussi ample que syncopée, la poétesse problématise à sa manière la question du paysage. Elle le glisse dans des frontières intimes, en maints replis et dans la tiédeur sensuelle et surtout métaphysique. D’une certaine manière, le paysage évoque un paysage intérieur, une « tombe creusée dans l’air ».
Le premier échappe au simulacre afin de brûler — jusque dans la force de l’âge qui fait de nous le peu qu’on est, et qui nous happe — dans un désir de temps afin de remplacer le fuyant en une sorte d’éternel présent ou d’insistants avenirs. Ne serait-ce pas là le moyen de redéfinir le terme rimbaldien d’ « illuminations »? L’auteure rappelle que chez chaque être le sentiment d’une identité fuyante, introuvable peut toujours émerger du chaos. La poésie permet de la reconquérir à travers le travail de mémoire de celle qui se définit comme « brûlée de l’existence ». Cette recherche tient plus à la nature même du langage qu’à ce que ce dernier charrie d’images.
Palimpseste de la mémoire vivante, le livre est donc la mise en acte de l’absence dans la mesure où le langage conditionne soudain le caractère inconnaissable de celle-ci et la possibilité de la poésie de le combler ou de le transcender en faisant remonter ce que les eaux du temps ont fait dériver jusqu’à ce que nous en perdions la trace.
jean-paul gavard-perret
Sylvie E. Saliceti, Couteau de lumière, Rougerie, Mortemart, 2017– 13,00 €.