Enfant, Romain Gary reçu une sorte de requête : «Quand tu rencontreras de grands personnages, des hommes importants, promets-moi de leur dire : au n° 16 de la rue Grande-Pohulanka, à Wilno, habitait M. Piekielny ». Il respecta cette promesse faite à ce voisin (qui ressemblait à “une souris triste” et qui devina en lui un enfant au grand avenir) lorsqu’il devint résistant, diplomate et bien sûr écrivain. Et l’auteur de préciser dans La Promesse de l’aube : « Des estrades de l’ONU à l’Ambassade de Londres, du Palais Fédéral de Berne à l’Élysée, devant Charles de Gaulle et Vichinsky, devant les hauts dignitaires et les bâtisseurs pour mille ans, je n’ai jamais manqué de mentionner l’existence du petit homme ».
A côté de l’humour cher à l’auteur, cet homme mystérieux devint un personnage baroque, picaresque. Le personnage du Baron.
Pour sa part, dès qu’il se met à écrire et afin de ne pas cristalliser son écriture dans l’autofiction, Désérable croit inventer un personnage : « un Chilien d’une quarantaine d’années, mélancolique, d’origine germanique, qui descendrait de barons baltes et revendiquerait tout au long du livre ses origines prétendument nobiliaires ». De fait, ce baron existait déjà : c’était le personnage récurrent des romans de Gary. Mais avant de le soupçonner, il invente pour un autre récit avec un nouveau noble : le Baron de Saint-Pesant. Et c’est à ce moment là que le jeune auteur découvre le fameux Baron de Gary. Celui-là, et comme son auteur, prend différents pseudo dans des romans où il apparaît, le plus souvent sans raison directement logique et narrative (Le Grand Vestiaire, les Couleurs du jour, Les Racines du ciel, les Mangeurs d’étoiles, La Danse de Gengis Cohn, la Tête coupable et Europa).
C’est dans un bus qui venait de Vilnius (ville natale de Gary) que l’auteur a découvert Romain Gary et son « Baron » en lisant La Promesse de l’Aube. Désérable fut aussitôt hanté par la phrase citée en début d’article. Il partit à la découverte de cet être mystérieux, apparemment dépourvu de réalité, typiquement incongru, gêneur, plus ou moins et a priori fou. Les critiques de Gary ont cherché bien des généalogies à un tel personnage : le baron de Nuncingen de Balzac, celui de Münchhausen issu comme Gary des pays baltes, et comme lui encore, bonimenteur de génie, maître des mythomanies.
Mais pour Roman Gary ce personnage est un idéaliste d’un genre particulier : « un enfant de pute qui trouve que la terre n’est pas un endroit assez bien pour lui. » (Les mangeurs d’étoiles).
Désérable, jeté par hasard devant la maison d’un tel « héros », remonte donc l’histoire de celui qui fut en équilibre instable entre deux statuts : ordonnateur des hautes œuvres et parfait charlatanisme. Ce personnage le fascine comme il fascina Gary dont le souhait fut — et le jeune romancier l’a lu — : « quand je ne serai plus là, ou même avant, j’aimerais beaucoup que d’autres romanciers le reprennent et le continuent ». Désérable l’a réalisé superbement. En hommage autant à ce personnage qu’à Gary lui-même. Il est donc entré en baronnie. Pour sauver et venger M. Piekielny qui « a fini en savon pour satisfaire les besoins de propreté des nazis » comme l’écrivit Gary.
A l’auteur qui vécut plusieurs vies, son cadet en ajoute une. Manière de s’inventer en poursuivant les jeux de miroir de Gary/Ajar. Bref, il répond à ceux qui affirment que nous aurions besoin d’un cinquième Romain Gary aujourd’hui. A sa manière, ce superbe roman offre la nouvelle version de l’écrivain (et de son personnage).
jean-paul gavard-perret
François-Henri Désérable, Un certain M. Piekielny, Gallimard, collection Blanche, Paris, 2017, 272 p.
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