Carole Carcillo Mesrobian & Jean Attali, Le sursis en conséquence

Surseoir au pourchas

«Être ou ne pas être », telle est tou­jours la ques­tion : mais Carole Car­cillo Mes­ro­bian ne se contente pas d’une oppo­si­tion trop sim­pliste et pla­te­ment car­té­sienne. Ce qui per­met ici au dis­cours de se pour­suivre tient à un autre flux du dis­cours et de sa logique sur la cour­bure du monde. D’où un dédou­ble­ment pre­mier et en des­sous du visible : « tu es le désert au nord / Et moi la dune sous la gelée ». Si bien que mère la mort en perd sa cré­celle.
De ce qui se joue dans le corps doit encore jaillir un accou­che­ment au soin de visions mul­ti­fo­cales. Celui-ci doit don­ner nais­sance à un son neuf, inat­tendu face aux bruits du monde : des plus vio­lents comme dans le zon­zon du «froid des abeilles dépos­sé­dées de fleurs ». En une pre­mière « étape », l’auteur le nomme « le bruis­se­ment froissé du tissu constellé de liesse de l’été ». Néan­moins, la révé­la­tion oblige encore à d’autres passes sous la clé de voûte de l’amour. Pas n’importe lequel, pas n’importe com­ment. Et Jean Attali prend garde de sou­li­gner ce que le texte indique. Le corps nu est cor­nue. Ses tor­sions sont autant de vio­lences ouvertes face à ce qui est offert ou espéré. Si bien qu’entre ombre et lumière, pulpes volup­tueuses et sque­lettes dansent encore au pied de leur falaise.

Par brèches et dérives, le lan­gage tente de réap­pa­raître dans le peu qu’il reste : pous­sière que pous­sière, ten­tant ce « retour sans connaître l’arrière ». Exit toutes pro­pen­sions nos­tal­giques. Un ruban (de Moe­bius ?) se déploie contre l’étouffement et « l’inutile anec­do­tique » jusqu’à ce que le silence parle le silence. Peu à peu, la vie de l’esprit et du corps émerge sous les inci­dences de l’inconscient.
Monde des rêves, fonc­tion­ne­ment méta­pho­rique des états de conscience, per­cep­tions multi-sensorielles, confins de la réa­lité vir­tuelle ou supra­na­tu­relle, flux de conscience, état hyp­no­tique font du livre un recou­vre­ment là où « le temps des hommes res­semble aux hommes / Les semences aux récoltes / Et l’ombre nue du ciel à un champ de désert ». Jusqu’au bout demeure un mou­ve­ment contre la perte et dans une stra­té­gie propre à embras­ser le pré­sent  même si le mot, sauf erreur, n’est jamais dit) où tout se joue.

Existe dans ce superbe livre ce qu’il faut de soleil : un écu, une giran­dole. Qu’il arrive en août ou en juillet et qu’un décor se fige, l’astre tourne et une poi­gnée d’oiseaux tient au ciel même si l’oreille est alen­tie. Les têtes des arbres font des trous dans l’air, cha­cune fon­cée, quasi-nègre, empa­que­tée de noir­ceur molle qui en même temps aspire le désir pour le recra­cher face à la mort qui se donne ou nous est don­née. Les deux auteurs n’en sont pas dupes. Mais face aux sépulcres tor­pides de Jean Attali, l’auteure cherche à per­cer le silence sans fond, du dedans, de par­tout. Dans la bouche. Sous les dents. Dans la cavité du nom­bril. Aux tempes. Ailleurs encore.
Appe­lons cela sur­seoir le pour­chas. Car il s’agit de rap­pe­ler à soi, à l’autre ce qui en soi demeure de sem­pi­ter­nel quoique d’infime dans le fre­tin du cœur mais sans tom­ber dans une déri­sion roman­tique. Celle qui pour tant d’amoureux tient lieu de foi. A l’inverse existe chez Carole Car­cillo Mes­ro­bian une conju­ra­tion du silence qui refuse les sim­pli­ci­tés lin­gui­formes super­fé­ta­toires et faciles.

Prêtresse du Bel Échange à la dou­leur indu­rée, l’auteure écrit  avec un côté crâne, gélif et ramassé — ce qui fend les illu­sions visuelles et audi­tives. Le texte devient autant appro­fon­dis­se­ment des images, des par­fums et des sons (Bau­de­laire en aurait été ravi) que per­cus­sion et tra­ver­sée. C’est l’impossible plon­geon du cincle à tra­vers le cube de glace du silence et le brû­lant du corps. Pas ques­tion pour autant de faire mon­ter les larmes aux yeux.
La poé­tesse reste entière, sen­suelle, curieuse. Elle veut connaître, sen­tir. Elle veut tout. De l’amour. Mais pas n’importe com­ment. Ou avec n’importe qui. Elle déroule son ruban, son ru gon­dolé comme une lame de scie dont Attali aiguise les pointes.

De ce que les lec­teurs inat­ten­tifs pren­draient pour un fatras appa­rent, émerge une poi­gnée de lanières. Carole Car­cillo Mes­ro­bian recule jusqu’au mur mais pour prendre un élan et croire aux cou­rants immar­ces­cibles qui s’établissent entre les êtres. Ces cou­rants sont divers et diver­se­ment s’intensifient. Et l’auteure rap­pelle à bon escient qu’il n’existe dans nos vies que ces flux. Nos vies dans nos aguets fié­vreux sont là pour les repé­rer ; et nous de son­ger que, de quelque nature qu’ils soient, nous aurions tort de les empê­cher de cir­cu­ler.
C’est pour­quoi l’auteur apprend à appa­reiller dans l’existence afin de décou­vrir dans la fer­raille du cœur et du corps ces «écrous d’espérance ». Par le pre­mier mot de cette cita­tion tout est dit. Dès lors « Etre ou ne pas être », on l’aura com­pris, ne convient pas : le « ou » est de trop car la vie n’est pas for­cé­ment du Sha­kes­peare. Magique.

jean-paul gavard-perret

Carole Car­cillo Mes­ro­bian & Jean Attali,  Le sur­sis en consé­quenceLes Edi­tions du Lit­té­raire, coll. « La biblio­thèque d’Orphée », Paris, 2017, 96 p. — 15,00 €.

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  3. COMPERE-DEMARCY Murielle

    Par ces “écrous d’espérance” où crisse l’étoupe burale du silence mor­dant “la fer­raille du coeur et du corps” jusqu’à des­ser­rer l’alternative et lais­ser s’inverser / se ren­ver­ser / se déver­ser –en frac­tales du Grand Ver­tige et Déri­vant Vor­tex Jousïs­sant– les têtes de chair retour­nées jusqu’à… la Pre­mière Déchi­rure du Cri, “Le sur­sis en consé­quence”, –Mes­ro­bian Icelle Car­cillo “dont les mots du miracle des lignes” (Christian-Edziré ‘Ice­lui”) cognent, Carole, et des­saquent à contre-pages, … ouvrent les lèvres retour­nées pau­pières éprou­vées, nos revers brû­lés, notre Regard revu, –la “vraie vie” mon­tée à cru, ———
    Réveillés les “ava­chis” (A. Artaud) par les tempes arra­chées au Soleil sonore “élu­ci­di­fère”, –la râpe su silence acr­rue pour qu’en hurle, par ici par-devant, “asteur et dans le tout par­tout”, “le sur­sis en consé­quence”.
    Carole Car­cillo Meros­bian fait sau­ter les ver­rous de la Grande Pusil­la­ni­ni­mité gon­flée de sa bau­druche d’Auto– Suf­fi­sance, pour ouvrir le seul Visible pos­sible sur le seuil des plus pauvres et humbles seuls élus de l’Amour suprême et du tra­vail seul authen­tique des ʺhor­ribles tra­vailleursʺ. Un Astre ici fait effrac­tion dans nos déré­gle­ments à l’ombre érup­tive redo­rée de nos cœurs hor­lo­gers / men­Son­gers et nous abouche aux inter­stices noirs et lac­tées d’une Nova res­sur­gie d’un SURSIS à nos aires rances, –fausses et criardes et d’addictions effron­tées (Christ. Edz’)- nous gueu­lant en dou­ceur mais pro­fon­deur dans les per­fo­ra­tions juteuses, qu’il y est le Sur­sis, EN CONSEQUENCE.
    Murielle Compère-Demarcy (MCDem).
    Murielle Compère-Demarcy (MCDem).

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