Plus solitaire que misanthrope ou atrabilaire, Soluto est un artiste et écrivain forcément en retrait non seulement du monde mais de la renommée. Cette dernière s’entretient et se façonne à coup de réseaux dont il n’a cure. Tout comme chacun, le créateur ignore et connaît trop bien l’issue de son propre mystère. Mais en magicien des mots et des traces, il trouve comme recours la pénétration et l’évocation du lien la plus connue (l’égo de chacun aidant) mais qui nous échappe : le corps. Il devient dans l’œuvre, l’éthos ou une demeure chaque fois réinventée.
En un espace de tension entre « autoportrait » et indices de l’inconnu, la peinture pose et repose la question de savoir qui elle est, qui est le sujet de son sujet. Sans stratégie voyeuriste ou érotique, la recherche du lieu porte vers quelque chose de trouble et de troublant. Celui qui rêve sur un tas de feuilles mortes de se sentir chez lui retrouve toujours sa propre intimité à travers son travail. L’histoire de l’œuvre est donc l’histoire d’une accession à soi par son intermédiaire. L’art et la littérature acquièrent un sens particulier : l’intime y est regardé à l’envers et s’écrit par défaut.
En connaître plus :
Soluto écrivain : Glaces sans tain, Editions Le Dilettante, Vies à la ligne, éditions des Rêveurs,
Soluto Peintre, voir son site
Entretien
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La crainte de me rendormir. Le sentiment que le temps m’est compté, qu’il me reste beaucoup à peindre et à penser. La perceuse du voisin, un chapitre à lire, une idée à noter, l’envie d’un café fumant…
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Mes rêves d’enfants sont tombés comme des feuilles au renouvellement des saisons. D’ailleurs j’en avais peu et j’ai étouffé ceux qu’on avait pour moi. Ils n’étaient ni excitants, ni à ma mesure. J’ai vécu pleinement mon enfance sans jamais me projeter dans l’avenir. J’ai commencé à regarder au-delà de moi à l’adolescence.
A quoi avez-vous renoncé ?
A rien. C’est mon problème. J’ai beaucoup de difficultés à lâcher ce qui me tient à cœur. Si, peut-être une chose, la musique. A 23 ans j’ai rangé ma clarinette dans son étui savonnette, j’enrage quand j’y pense. La musique est une pratique exigeante et j’ai trop à faire pour m’y contraindre maintenant.
D’où venez-vous ?
D’un petit bal perdu.
Qu’avez-vous reçu en « héritage » ?
Un patrimoine biologique, un fond de santé éclatant, une histoire familiale avec des trous, des préjugés à déconstruire, un surmoi encombrant, du goût pour ce qui n’a pas de finalité, d’utilité immédiate. Un intérêt pour les arts en général.
Qu’avez-vous dû “plaquer” pour votre travail ?
Je n’ai rien plaqué mais je me suis détourné. Je ne cultive pas mes relations amicales. Je m’ennuie en société. Je regrette souvent de n’être pas devant mon chevalet ou sur mon clavier. Je pense souvent à Sénèque. « Nous n’avons pas reçu la vie courte mais nous nous la sommes faite. » Je multiplie les stratégies pour qu’on ne me vole pas mon temps.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
L’alcool
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Alors ça !
Comment définiriez-vous votre approche du corps dans votre travail ?
J’essaie de retrouver dans la ligne et les couleurs la sensualité, la mouvance, la chaleur des corps. L’érotisme n’est pas mon propos, mais la chair, la lumière sur la peau, l’éblouissement ah oui !
Quelle fut l’image première qui esthétiquement vous interpella ?
Je trouvais particulièrement intrigant le tableau noir de la classe après que le maître l’avait lavé à grands coups d’éponge mal rincée (je vous parle d’un temps que les moins de…). Le tableau débarbouillé, en séchant, laissait apparaître des nuages de craie. Je voyais ronfler des formes fabuleuses qui m’absorbaient longtemps. Le maître, croyant vider le tableau de ses signes, l’emplissait d’un all over qui me fascinait. Je m’y revois comme si c’était hier. Je guettais aussi le moment où l’eau finissait de s’évaporer pour laisser surgir des monstres, des paysages.
Sinon, en termes d’œuvre précise, je ne peux vous répondre. Il y avait chez moi beaucoup de livres de peintures, de revues. Petit j’aimais Renoir. Mais l’aimais-je vraiment ou simplement parce mon père l’aimait ? Mon plaisir était sûrement mimétique.
Et votre première lecture ?
J’ai toujours beaucoup lu. Mais à quinze ans, tout à fait par hasard, je suis tombé sur « Pierrot mon ami ». Choc… Il y a tant de jeu, de malice, de jubilation dans l’écriture de Queneau. Cette lecture a été déterminante. Il a été le maillon dans le mur qui m’a permis d’accrocher une chaîne d’auteurs auxquels je reste fidèle.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Les piliers ? Ceux auxquels je reviens toujours ? Brassens, Duke Ellington, Ella Fitzgerald, Chet Baker, Ben Webster, Bechet… Du jazz qui date et qui réjouit. Mais en ce moment tournent à l’atelier le très inventif « The life of Pablo » de Kanye West ainsi qu’Edouard Ferlet, Rhoda Scott, Schubert, Herrmann…
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Je ne relis rien in extenso mais des chapitres, des fragments, des poèmes. Des lettres extraites de la correspondance de Flaubert, des morceaux du Voyage et de Mort, du Verlaine, du Baudelaire, des nouvelles de Carver, Russel Banks, des textes courts de Colette, des propos d’Alain, des pages de Calet, de Simonin, de Boudard que je trouve injustement dévalués. J’en oublie beaucoup, beaucoup…
Quel film vous fait pleurer ?
Deux scènes me font irrésistiblement chialer. Elles ont été conçues pour. Je marche à tous les coups. Dans « jeux interdits » la détresse de Brigitte Fossey quand seule, toute petite et perdue dans une gare elle crie « Michel, Michel… » Et dans l« Le Vieux fusil » la déclaration d’amour de Philippe Noiret à Romy Schneider… Rien que d’écrire cette dernière phrase j’ai le haut du pif qui me pique.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
J’ai dessiné et peint beaucoup d’autoportraits. C’est dire si je me suis regardé. Mais plus on s’observe, plus on cherche et fouille le détail pour se restituer et moins l’on se voit. C’est une métaphore à ne pas prendre à la légère : on ne se ressemble pas spontanément. Il faut se chercher. L’on n’est soi-même qu’à partir d’intuitions qui se confirment ou non. Dans le miroir je ne vois qu’un ensemble de lignes, de masses qui se coagulent pour former un visage. Il ne dit rien de moi mais dans ce reflet je vois la permanence de mes traits. Je ne lui en demande pas plus.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A Franz Bartelt.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Le New York de Céline, le Los Angeles de John Fante, le Paris de Simonin (qui vaut mieux que le pari de Pascal)…
Quels sont les écrivains et artistes dont vous vous sentez le plus proche ?
Je ne me sens plus proche de personne mais il y en a que je jalouse. Je ne citerai que les morts, des géants, des génies : Vélasquez, Van Dick, Degas, Manet, Cézanne, Chardin, Munch, Carrière, Daumier, Millet, Gil Elvgren, Hopper, Gruau, Vallotton, Moebius et tout un tas de petits maîtres auprès desquels je me sens riquiqui. Il y a aussi des vivants qui me font baver, mais là : joker.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Une proposition d’exposition d’un galeriste de qualité.
Que défendez-vous ?
Les doigts dans le nez, les coudes sur la table, qu’on profite que je sois perdu dans mes pensées pour me couper la parole.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Je tiens Lacan, selon les jours, pour un farceur ou un grand délirant. J’aime son sens de la formule. Celle-ci n’est pas ma préférée. Tout le monde veut de l’amour, ou croit en vouloir, et se leurre. Ce que l’on veut c’est l’assouvissement des pulsions et un peu de sécurité. On emballe le tout dans du baratin, de l’émotion, de la pop-culture et on le rebaptise Amour. La belle affaire… La phrase de Lacan qui me semble plus juste est celle-ci : « Etre aimé c’est s’incarner momentanément dans le fantasme de l’autre » Tout est dit du malentendu. On aime les gens pour ce qu’ils ne sont pas et on les quitte pour ce qu’ils sont.
Pendant des siècles le mariage de raison a prévalu et pour les réjouissances du corps on prenait amants et maîtresses. Maintenant on veut du tout en un dans un monde qui s’érotise (c’est tellement plus vendeur…), voire se « pornographise » et multiplie les tentations. Cherchons l’erreur.
Je crois par contre, quand ils survivent aux conflits, aux vieux couples, aux liens d’attachements, à la bienveillance et à la tendresse.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Je pense le plus grand bien de l’œuvre de Woody … C’est lui le philosophe, le penseur traversé de fulgurances, pas Jacques. Le oui plutôt que le non, l’affirmation plutôt que le retrait… Qu’importe la question.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Eh bien par exemple vous auriez pu me demander si j’avais un projet littéraire dans les tuyaux. J’aurais ainsi pu vous répondre que oui. Surpris, vous auriez rétorqué : c’est pour quand ? J’aurais alors sollicité votre patience et dit : pour septembre… Vous auriez alors tenté de connaître le titre, le thème et j’aurais fait mon mystérieux…
Entretien et présentation réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com le 25 avril 2017.
Heureuse de vous lire. Je ne connaissais pas votre blog/revue.
Que du bon, que du vrai, que du à ne pas garder pour soi mais transmettre ! Bravo Soluto !
Soluto est un grand monsieur que j’adore.
Il peint dessine et écrit à rendre jaloux plus d’un …
Et ce que j’apprends de lui ici me confirme l’idée première.
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