Lucien Suel, Ni bruit ni fureur

Les fleuves Amour

Livre pré­cieux que ce  Ni bruit ni fureur, second volume de l’anthologie poé­tique du poète. Il reste plus que jamais le digne suc­ces­seur de ses sœurs et frères d’outre-Quiévrain (comme de Brian Eno né comme lui en 1948) et qui eurent la bonne idée de perdre leurs che­veux de concert…
Chez Suel, l’écriture bas­cule tou­jours dans un pay­sage d’intervalles avec fan­tai­sie. Chaque texte est un jet de dés pour mettre un terme pro­vi­soire au chaos cohé­rent.
Les mon­tages sont impré­vi­sibles, allègres, ils secouent l’esprit là où émergent des pages éton­nantes quel que soit le sujet : une fille du Nord dans les bat­te­ments de houle près de Zee­brugge, les voyages en trains, cer­tains « rideaux de poudre », l’hommage à des dis­pa­rus dont Chris­tophe Tar­kos et Chris­tophe Wattel.

L’auteur ne cultive jamais des formes satu­rées : des lignes sur­prises occupent l’écran de chaque page en mon­tages bruts là où le nombre est rem­placé par la qua­lité. Demeurent tou­jours une sim­pli­cité drôle et inef­fable, la liberté d’un cer­tain désordre, la logique du jeu pour contra­rier la mort. Tout reste en éveil même lorsque le macabre traîne Le monde demeure un ensemble de gro­seilles rouges que le pouce sou­lève et que l’index sec­tionne (ou l’inverse) afin que, de seaux en plas­tique en bas­sines bouillantes, les baies se trans­forment en liquide ver­nissé et lui­sant que Mau­rice Duchamp ne pou­vait que trans­for­mer en ready-made.
Le hasard habi­le­ment pré­des­tiné décons­truit l’écriture, affole le logos sans pour autant faire coïn­ci­der le vrai avec le faux.  Le « loin­tain passé » n’est jamais évo­qué sous le sceau de la nos­tal­gie. Demeure tou­jours la tra­ver­sée du souffle : il trame dans les mots une per­cep­tion de fond. Et si les illu­sions res­tent volon­tai­re­ment pré­sentes, c’est pour dés­in­té­grer l’écriture dans la pul­sa­tion de la page loin des codi­fi­ca­tions d’usage. Suel reste donc l’exemple par­fait du poète libre mi-Robinson Cru­soë mi-Buck John : il ne cesse, comme cha­cun de nous mais avec plus de force poé­tique, de fumer des lianes au par­fum d’herbe brûlé en retar­dant plus que jamais notre chute finale qui n’a jamais rien de sublime. Au pro­fil de l’ombre qui clouera notre croix (ou ce qui en tient lieu) au sol il faut ché­rir le soleil qui se porte sur elle.

jean-paul gavard-perret

Lucien Suel,  Ni bruit ni fureur, La Table Ronde, Paris, 2017, 176 p. — 16,00 €.

1 Comment

Filed under Chapeau bas, Poésie

One Response to Lucien Suel, Ni bruit ni fureur

  1. Lucien SUEL

    Grand merci pour ce bel article à pro­pos de “Ni bruit ni fureur”.
    Je me per­mets de cor­ri­ger une erreur. Je suis un poète du Nord de la France. Ma proxi­mité géo­gra­phique avec la Bel­gique ne me donne pas la natio­na­lité belge.

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